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26 février 2019 2 26 /02 /février /2019 15:30
Fabienne Lauret : « Une organisation pour se défendre au quotidien »
mercredi 13 février 2019 
par  Ballast 
popularité : 15%
 

Fabienne Lauret n’a pas 20 ans lorsqu’elle plonge dans la politique en Mai 68 : elle gravite autour puis milite dans des groupes révolutionnaires. Au début des années 1970, elle intègre l’atelier couture de l’usine Renault, à Flins, devenant ainsi ouvrière-établie — la pratique de « l’établissement » était alors promue par les organisations d’influence maoïste, qui incitaient les intellectuels, militants et étudiants à se faire embaucher comme ouvriers pour partager la condition de la classe ouvrière. Syndicaliste à la CFDT (qui, à l’époque, n’avait pas peur du mot « autogestion »), elle doit se battre à la fois comme ouvrière et féministe — le sexisme sévit au quotidien dans l’usine. Aujourd’hui retraitée, l’adhérente à Solidaires et au NPA qu’elle est raconte son parcours, les conditions de travail et de lutte dans un livre intitulé L’Envers de Flins — Une féministe révolutionnaire à l’atelier.

Vous parlez du problème de transmission de la mémoire sur l’histoire du syndicat, sur la façon dont se sont construites les luttes et les grèves… Écrire ce livre, était-ce une façon de « faire votre part » ?

C’est l’objectif principal : la transmission. Mais aussi de faire apparaître des choses qui ont été occultées, comme la question féministe, les violences faites aux femmes dans les entreprises, le racisme. C’est important de raconter l’histoire de ces grosses entreprises. Mon livre est personnel mais aussi générique : les gens sont contents et se retrouvent dans le récit, parce qu’ils l’ont vécu. Il y a peut-être là quelque chose d’universel.

Pouvez-vous revenir sur vos premiers engagements, avant votre entrée à Renault ?

« Les CRS ont affronté les ouvriers et les étudiants et il y a eu un gros drame : un jeune lycéen, Gilles Tautin, est mort dans la Seine, noyé. »

Tout a commencé en Mai 68, où j’ai découvert les engagements révolutionnaires, la politique — le féminisme est arrivé peu après, en 1969-70. J’allais avoir 18 ans en juin 1968, j’étais en couple, le lycée (Henri IV) de mon compagnon avait été occupé et moi j’étais au lycée Hélène Boucher (dans le XXe), très strict. Avec d’autres copines, on a voulu s’engager dans le mouvement : on a fait des assemblées générales, des commissions, mais la direction a vite fermé le lycée. Mes amies se sont évaporées et je me suis retrouvée au Quartier latin avec mon copain, entre la Sorbonne, les manifs, le lycée Henri IV et toutes les occupations. On était assez attirés par les groupes révolutionnaires, notamment la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) — l’ancêtre de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Il y avait beaucoup de meetings et d’assemblées générales, on aimait bien écouter les dirigeants de la JCR parler : Daniel Bensaïd, Henri Weber, Isaac Joshua, Henri Maler… On était assez impressionnés. On aimait bien leurs analyses, on avait besoin de savoir et de comprendre ce qu’il se passait. Tous les jours il y avait des débats, des commissions, des actions, des manifs. Puis il y a eu la grève générale à partir du 13 mai, la grosse manif où les syndicats ont soutenu les étudiants qui avaient été réprimés et emprisonnés. Début juin, à Renault Flins, les CRS ont affronté les ouvriers et les étudiants — qui avaient été appelés pour les soutenir — et il y a eu un gros drame : un jeune lycéen, Gilles Tautin, est mort dans la Seine, noyé. On ne sait pas s’il a été poussé par un CRS ; c’était une mort « accidentelle », mais qui était quand même due à la violence policière. On s’intéressait aussi à ce qu’il se passait dans les usines : mon compagnon était allé à Billancourt, où les étudiants voulaient soutenir les ouvriers. Mais ils se sont fait jeter donc il était un peu échaudé. Puis tout a repris à la suite des accords de Grenelle, et une partie des syndicats ont fait reprendre le travail dès la mi-juin.

Vous avez même adhéré à la JCR !

On a adhéré à la JCR du comité du Ve et VIe arrondissement le 12 juin, oui, jour où de Gaulle a dissous toutes les organisations révolutionnaires lors de la deuxième phase plus tendue et d’un relatif recul du mouvement. À la rentrée de septembre, on a participé aux Comités d’action lycéens (CAL) et aux comités d’action de quartiers. Dans cette organisation révolutionnaire, il y avait déjà des débats qui ont suscité des fractions. J’étais plutôt attirée par une tendance plus ouverte, beaucoup plus large, plus unitaire. La grosse divergence concernait l’Union soviétique : mon organisation, Révolution !, trouvait que ce n’était plus un État ouvrier socialiste mais un État bourgeois. Plus tard, les JCR se sont transformées en la Ligue communiste pour devenir un vrai parti, pas seulement une organisation de jeunesse. Il y a eu une scission, des divergences — qui maintenant semblent un peu dépassées — sur des questions d’analyse politique internationale et sur les pratiques concrètes. Après 1968, le mouvement ne s’est pas arrêté, il y a eu une sorte de traînée de poudre qui a duré près de 10 ans : il y avait des grèves, et les mouvements des immigrés, des femmes et des écologistes ont commencé à prendre de l’ampleur. C’était l’époque de Lip (en 1973), du Larzac, des paysans qui se révoltaient.

Renault Flins, Mai 68 (DR)

Quels ont été vos premiers pas dans le mouvement féministe ?

En 1969, je devais passer mon bac, mais très vite la direction du lycée a appris que j’étais en couple. Elle était très sévère : il ne fallait pas être avec les garçons, ne pas parler avec eux (il y avait peu de lycées mixtes), on devait porter des blouses, ne pas mettre de talons, de pantalons, ne pas se maquiller — il y avait beaucoup d’interdits. La direction m’a dit d’aller réviser mon bac à la maison. J’ai eu mon bac littéraire en 1969, j’ai fait une année de fac en philo et une autre en histoire, mais je n’ai pas obtenu grand-chose car je militais tout le temps. Le mouvement féministe s’est développé notamment avec des assemblées générales aux Beaux-Arts en 1970, où j’allais souvent. En 1968, les femmes étaient très présentes mais n’étaient pas leaders, elles n’étaient pas en tête de manifs, ce n’était pas elles qu’on interviewait, qui prenaient la parole dans les meetings. Il y a eu cette prise de conscience sur laquelle des revendications de liberté se sont greffées ; ça a bousculé les choses dans mon organisation et dans les couples, dont le mien. On passait aussi notre temps à militer soit dans les CAL, les facs ou les comités d’action de quartier, les comités Vietnam.

Comment êtes-vous entrée à Renault Flins, du coup ?

« En 1968 les femmes étaient très présentes mais n’étaient pas leaders, elles n’étaient pas en tête de manifs, ce n’était pas elles qu’on interviewait, qui prenaient la parole dans les meetings. »

En 1968, on avait été impressionnés par ce qu’il se passait à Flins. C’était une usine moins tenue par les syndicats qu’à Billancourt. La CGT et la CFDT étaient presque à égalité, et il y avait eu des affrontements violents puisque les CRS avaient viré les grévistes qui occupaient l’usine — qu’ils ont reprise après. Dans mon organisation Révolution ! — qui s’est transformée en Organisation communiste des travailleurs (OCT) —, certains disaient qu’il fallait aller dans les entreprises. Il y avait peu d’ouvriers dans l’organisation et on n’allait pas attendre 20 ans avant de recruter des gens ! Alors il fallait y aller. Mon compagnon m’a proposé de nous établir à Flins dans les Yvelines. J’ai été d’accord et mes parents ne m’ont rien dit, si ce n’est « C’est ton choix ». On a réalisé que cette usine de 10 000 travailleurs, essentiellement français en 1968, avait changé en 1970. Avec le boom des ventes de voitures, Renault avait doublé en deux ans cet effectif par la mise en place des horaires en 2 x 8 [1] et par l’embauche massive de nouveaux salariées venant d’Afrique du Nord : des Maghrébins — des Marocains peu alphabétisés en majorité, des Algériens, des Tunisiens — puis des Sénégalais et des Maliens. Il y a eu jusqu’à 50 nationalités différentes à Flins. Pour intégrer l’usine, il nous fallait d’abord nous construire un passé ouvrier. On s’est donc fait embaucher dans différentes usines alentour puis je suis rentrée le 3 mai 1972 à Renault Flins. On était tout un groupe d’établis dans le coin (dans d’autres usines, dans les quartiers, l’habitat), dont quatre à Renault Flins.

Quels enjeux féministes spécifiques au monde du travail sont alors apparus à vos yeux ?

Les spécificités, on ne les voit pas tout de suite : il faut s’adapter et regarder. La particularité des usines de l’automobile, c’est qu’il y a très peu de femmes (environ 10 %). Les ouvrières majoritaires sur les 2 400 femmes étaient surtout concentrées à l’atelier de couture des sièges : on était environ 550 femmes, un tiers en horaire normal et deux tiers en 2 x 8. On nous donne un métier dit « féminin » (mécanicienne en couture), les chefs sont des hommes et on est traitées comme des gamines. Le premier fait sexiste que j’ai remarqué à l’usine, c’est lors de la fête des Mères : les mères ont reçu du CE [Comité d’entreprise], géré alors par la CGT, un tablier de cuisine et une manique pour servir les plats. Même si j’étais choquée, je n’ai trop rien dit ; c’était mon premier mois de travail. Mais notre organisation a fait un tract humoristique contre la CGT sur la façon dont ils traitaient les femmes : « Voyez comme ils vous considèrent, comme si vous étiez là pour servir à la maison, pour être la boniche ! » ; ça a eu son petit effet… L’année d’après, ils ont offert une potiche ! C’était une symbolisation du machisme, donc on a recommencé. Quelque temps après je me suis rendu compte que l’atelier de la couture était appelé le « parc à moules » par les hommes, c’était assez dévalorisant. L’atelier était en plus très excentré. J’ai posé plusieurs fois la question de cette localisation, comme s’il fallait protéger les hommes des femmes ou les femmes des hommes. Cela n’était même pas pratique techniquement, car on cousait les housses au deuxième étage, lesquelles étaient redescendues au rez-de-chaussée pour être mises sur les sièges, et ensuite remontées au premier étage en chaîne sellerie. On n’a jamais vraiment su pourquoi…

Renault Flins, années 1960 (DR)

Vous pointez ces horaires décalés en 2 x 8 comme des conditions propices à renforcer la double journée de travail exercée par les femmes : dans quel sens ?

La vie quotidienne rend beaucoup compte de la vie au travail. Il y a une interaction entre ce qui se fait à la maison et la vie à l’usine. Quand on est d’équipe du matin, on rentre assez tôt l’après-midi et les femmes — souvent mariées — font le ménage, les courses, le repassage, s’occupent des gamins. Ce n’était pas le cas pour les hommes. Par contre, pour la garde des enfants, il y avait plus souvent un partage. Quand mari et femme travaillaient à Renault en 2 x 8, c’était souvent en alterné. Ils se voyaient très peu, mais les enfants n’allaient pas en garderie, ça faisait des économies et les parents s’occupaient d’eux.

Vous avez participé à la construction d’un Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) à Flins…

Dès 1973, le mouvement féministe voulait une nouvelle loi qui décriminaliserait l’avortement interdit par la loi de 1920. On a obtenu la loi Veil en 1975 mais elle n’était pas parfaite, parce qu’il fallait que l’avortement soit aussi remboursé comme un acte médical. On avait des contacts avec des médecins de la région qui pratiquaient l’avortement de manière clandestine mais sécurisée. J’ai été sollicitée plusieurs fois dans mon atelier par des femmes qui voulaient avorter. Le dirigeant historique de la CFDT de Flins, Paul Rousselin, est parti momentanément quand on a créé un comité MLAC local avec la CFDT, car il le refusait personnellement, étant un catholique de gauche [2].

En 1983, vous avez rejoint le CE, au sein duquel vous avez travaillé pendant plusieurs années : quelles pratiques avez-vous tenté de mettre en œuvre ?

« On démonte toute une structure de la société quand on dénonce le machisme. »

J’en avais un peu marre de la couture (qui allait aussi disparaître), je voulais changer de métier. La CFDT a gagné les élections au CE et on m’a proposé un poste car il y avait besoin de renforcer les effectifs (la CGT était précédemment hégémonique au CE). Ils m’ont embauchée à la discothèque. Je n’y connaissais pas grand-chose mais je me suis assez vite formée ! Je suis finalement devenue discothécaire-bibliothécaire et animatrice culturelle. La CFDT voulait changer plein de choses. On a créé une médiathèque, fait des animations culturelles — notamment autour des droits des femmes —, organisé des rencontres, des enquêtes sur la double journée de travail des femmes, des spectacles d’humour féministe, des expositions. On a essayé de transformer la fête des Mères — c’est difficile de la supprimer car elle est très ancrée dans les entreprises. On a voulu faire passer des idées et changer les cadeaux pour ne pas renvoyer les femmes uniquement à leur rôle ménager. Pour nous, la culture est était un moyen d’émancipation. La gestion CFDT a duré 10 ans, puis FO est devenu majoritaire et ils ont tout remis comme avant. Maintenant, la plupart des CE sont devenus de vraies boutiques qui redistribuent l’argent et font la même chose que les expos de produits dans les grandes surfaces. C’est devenu très consumériste… Alors qu’à la base ça devait être un moyen d’éducation populaire et culturelle. C’est à ce poste que j’ai subi du harcèlement moral et anti-syndical de la part de FO, patron du CE, allant jusqu’à la mise à pied ! Une gestion par les syndicats peut être dangereuse s’il n’y pas de contrôle des salarié·e·s. Aujourd’hui, le harcèlement moral est devenu une technique de management pour se débarrasser de certaines personnes et réduire les effectifs.

Vous consacrez d’ailleurs tout un chapitre au harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Quel rôle doivent jouer les syndicats dans ce combat ?

Je me suis rendu compte assez tard de ce problème, ça n’était pas si visible que ça. Avec le mouvement MeToo, ça a ressurgi : il y a beaucoup de témoignages mais, au final, peu de femmes vont devant les tribunaux. Ce sont des combats qui touchent à l’intime, ce n’est pas pareil que de se battre pour une augmentation de salaire. On démonte toute une structure de la société quand on dénonce le machisme. Ça n’est pas plus facile aujourd’hui, il y a des retours de bâtons, des machos qui s’organisent, mais je ne désespère pas. Il faut continuer à dénoncer. Il faut une prise de conscience via une éducation syndicale faite auprès des hommes et des subventions pour les associations de soutien aux femmes. Suite à un cas de harcèlement sexuel assez grave en 1999, avec notre commission femmes CFDT de l’usine nous avons organisé un stage avec des délégués hommes de la CFDT et de l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Ils ne s’en rendaient même pas compte, ils étaient époustouflés de voir ce qu’il se passait. Ça a été super, il y a eu un progrès énorme. Mais après, c’est retombé : si on ne maintient pas l’éducation et le travail sur ces points, on retombe dans le quotidien. Ça meurt, ça s’enfouit et ça s’oublie. Les violences sexuelles ont lieu en entreprise mais aussi à la maison. Tout part de l’éducation, car c’est un mal qui se transmet. Peu de femmes peuvent agir, car elles ne sont pas assez soutenues. C’est le rôle des syndicats, qui commencent à le prendre en compte, mais ce n’est toujours pas une priorité alors même que cela fait partie des conditions de travail ! C’est pour ça que le mouvement féministe doit exister, se renforcer et être autonome, non dépendant des partis et des syndicats. C’est important que les femmes s’organisent elles-mêmes. L’AVFT est la seule association dans ce domaine, elle est donc submergée de boulot. Ses subventions ont été baissées de moitié et il y a de moins en moins de Planning familial dans les villes…

Renault Flins, 1975 (DR)

Sans l’avoir vécu directement, vous avez été témoin du racisme, très présent à l’usine. Il n’y avait donc pas d’unité des travailleurs, comme on peut parfois le croire, ou plutôt en rêver ?

L’unité des travailleurs n’existe pas en tant que telle quand chacun est à son poste de travail : elle existe quand il y a des luttes. Très vite, les immigrés se sont révoltés et j’ai participé à une des premières grèves des travailleurs immigrés en chaîne, en avril 1973. J’étais la seule femme alors qu’on était toutes concernées : les ouvriers demandaient des augmentations de salaire, la baisse des cadences, et les femmes de la couture le demandaient aussi. Ce jour-là, elles ne sont pas sorties en grève ; moi, c’était ma première grève. Quand je suis revenue, ça a été la douche froide. J’entendais des bruits circuler, j’étais celle qui fricotait avec les étrangers. Il y avait assez souvent des paroles racistes de la part des femmes : comme quoi les immigrés n’étaient pas comme nous, qu’ils étaient dangereux… À partir du moment où j’ai fait cette grève en 1973, j’ai été sollicitée par les syndicats pour être déléguée. Il n’y avait pas beaucoup de femmes : quelques-unes à la CGT et aucune à la CFDT. Grâce à mon mandat syndical, j’ai pu me déplacer dans l’usine et davantage me rendre compte du racisme. Les ouvriers se plaignaient du racisme des chefs, il y avait eu des affrontements avec la maîtrise à ce sujet. Il y a aussi eu l’histoire des « rayures » racistes : les syndicats ont voulu présenter des ouvriers immigrés combatifs aux élections, mais tous les candidats avec un nom à consonance étrangère — maghrébins, sénégalais, portugais — ont été rayés et n’ont donc pas été élus. On a demandé l’annulation des élections et il y en a eu de nouvelles. Mais il a fallu attendre les années 1980 pour avoir une loi permettant de ne valider les rayures sur les listes électorales dans les entreprises qu’au-delà de 15 % de votants. En 1973, ça n’était pas le cas à Flins ; 400 ou 500 rayures avaient suffi. C’était le fait de certains cadres et peut-être aussi d’ouvriers professionnels enrôlés dans un comité de défense de Renault sur le mode des comités de défense de la République — des officines assez fascisantes.

Vous avez une fois affirmé que vous étiez rentrée à Renault Flins en tant que « révolutionnaire qui voulait être dans le syndicat » et que vous êtes devenue « syndicaliste révolutionnaire » : qu’entendez-vous par là ?

« Ce n’est pas le syndicat qui fera la révolution. Mais le syndicalisme est indispensable dans les entreprises. »

Les révolutionnaires de l’époque n’étaient pas très à l’aise avec les syndicats. Pour Révolution !, le syndicat était un outil d’organisation de la classe ouvrière, une tribune importante pour nous. Quand on est rentrés à la CFDT, tout le monde savait qui on était. À la CGT ça n’a pas été dit : c’était plus compliqué car le Parti communiste était encore assez hégémonique, donc un adhérent d’une organisation révolutionnaire se faisait expulser ou n’était pas représenté les années suivantes. On est rentrés à Renault en tant que révolutionnaires parce qu’en 68 ça avait échoué : on avait remué beaucoup de choses mais pas pris le pouvoir. On pensait que Mai 68 était une répétition générale, qu’il fallait attendre pour construire un vrai parti implanté dans la classe ouvrière, qui pourrait diriger la lutte pour faire la révolution. On a assez vite déchanté ! On a vu que c’était bien plus compliqué que ça de convaincre les gens. Mais j’ai toujours gardé les mêmes idées révolutionnaires : changer la société, changer le monde. Seulement, aujourd’hui, une association comme Attac me convient mieux. Quand on est rentrés à Flins, on était d’abord révolutionnaires et syndicalistes, mais je suis devenue syndicaliste révolutionnaire : j’ai changé mon optique sur les partis révolutionnaires, ce n’est plus forcément un outil adapté.

Ce changement de perspective vous conduit à penser que c’est davantage par le syndicat qu’il faut agir ?

Non, ce n’est pas le syndicat qui fera la révolution. Mais le syndicalisme est indispensable dans les entreprises. Il faut s’organiser face au patron, déposer des revendications, faire un travail sur le terrain, sur les conditions de travail, la vie en général, l’évolution salariale, la santé, etc., tout en ayant une vision de transformation sociale du monde. On ne peut pas faire des grands discours sans travail concret. Pour l’instant, le seul outil est le syndicat, même si ce n’est pas parfait. Il peut y avoir, quand il le faut, des comités de lutte, d’action, mais ça ne dure pas. Il faut une organisation structurée, démocratique, qui analyse et propose des objectifs, des alternatives. Ce n’est pas seulement l’addition de plusieurs comités dans les entreprises qui va changer fondamentalement la donne. Aujourd’hui, on voit bien qu’avec les gilets jaunes, il n’y a pas de syndicat (même s’il y a des syndicalistes) et les gens s’organisent quand même. C’est un peu brouillon, au départ, mais au moins ils s’expriment et agissent. Pour la révolte, il n’y a pas besoin de syndicat, mais une fois que la révolte s’éteint il faut une organisation structurée. On appelle ça syndicat, fédération, autogestion, peu importe : il faut une organisation pour se défendre au quotidien.

Renault Flins, années 1970 (DR)

Dans les années 1980 la CFDT entame un tournant : abandon de toute référence anticapitaliste et autogestionnaire, alignement sur le « réformisme » social-démocrate. Comment cette évolution était perçue par la base ?

La particularité chez Renault Flins est qu’on était dans une CFDT assez à gauche et autogestionnaire. On retrouvait des gens d’extrême gauche, du Parti socialiste unifié (PSU), de l’Organisation communiste des travailleurs, de la Ligue Communiste, de Lutte ouvrière, d’anciens maoïstes… La section syndicale de Renault Flins faisait partie du syndicat de la métallurgie parisienne, qui était sur des bases autogestionnaires. Il y a eu assez longtemps une forte opposition dans la CFDT à cette nouvelle réorientation, portée par Edmond Maire puis Nicole Notat. La CFDT de Renault Flins a tenu jusqu’en 2015. Les anciens sont partis, il n’y a pas eu de transmission. Ils sont rentrés dans le rang, ils n’ont pas appelé à la grève contre la loi Travail en 2016. Il y a eu un rouleau-compresseur idéologique et médiatique pour dire qu’il fallait un syndicalisme à l’allemande ou à la nordique : que le syndicat soit une assurance — on paie une cotisation et, en échange, on a la certitude d’être défendu individuellement et d’avoir des avantages comme une mutuelle. Mais on voit bien que ça ne marche pas tant que ça parce qu’il n’y a pas la même histoire du syndicalisme en France et en Allemagne.

Un syndicat davantage vu comme un prestataire de services que comme un outil de lutte…

« Depuis 15 ans, on a eu plein de défaites : les retraites, la perte de droits, la précarité, l’intérim, la désindustrialisation. »

Tout à fait. Un syndicat de négociation, voire de cogestion. La CFDT a beaucoup de voix, mais ce n’est pas parce qu’on est majoritaire qu’on a raison. Ce type de syndicat ne marche pas si on veut se défendre et changer profondément les choses.

Mais, plus généralement, les syndicats ne sont-ils pas moins combatifs qu’avant ?

Je ne dirais pas que la combativité n’est plus là. Je suis à Solidaires : Sud est un syndicat très combatif mais minoritaire. À la CGT il y a plein de gens combatifs, mais il y a des directions syndicales qui ont le pouvoir. On met tout le monde dans le même panier mais il y a des différences, ne serait-ce que localement. La CFDT est passée de l’autre côté : elle est quasiment devenue le bras droit des patrons. L’origine de notre syndicalisme est celle du combat, de la remise en cause du capitalisme. C’était le sens de la Charte d’Amiens. Mais la combativité s’est aussi émoussée chez les salarié·e·s. Depuis 15 ans, on a eu plein de défaites : les retraites, la perte de droits, la précarité, l’intérim, la désindustrialisation. On a été déconstruits, il y a une grande souffrance. Mais les syndicats ne sont pas des magiciens, ils sont faits de salarié·e·s, de travailleurs et travailleuses. Les gens accusent le coup, on voit beaucoup de résignation qui se transforme en désespérance — burn-out, dépressions, suicides, maladies, cancers — et en grosse colère non maîtrisable. Les gros bastions économiques ont été démantelés avec la mondialisation libérale. Dans l’automobile, il y a moitié moins d’effectifs en France qu’il y a 20 ans. Les voitures sont fabriquées à l’étranger et c’est toujours la recherche du profit maximum des patrons : ils ont un pouvoir destructeur. La cause est là.

Photographie de bannière : usine de fabrication de chaussures, par Urban requiem (Flickr)

 

[1Système d’organisation d’horaires de travail qui consiste à faire tourner par roulement de huit heures consécutives deux équipes sur un même poste pour permettre un fonctionnement durant les 16 heures d’une journée.

[2La CFDT était née d’une scission de la CFTC en 1964.

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27 août 2018 1 27 /08 /août /2018 13:28

Fabrice Gomez


Afin de simplifier les démarches des retraités français vivant à l'étranger, la direction de la Sécurité sociale va mettre en place une plateforme dédiée à la transmission des certificats d'existence.
 

Près d'un million de Français ont fait le choix de partir à l'étranger pour leur retraite. Maroc, Espagne, Portugal... des destinations qui leur permettent de profiter d'un climat agréable et surtout d'un coût de la vie moins élevé qu'en France. Mais partir et vivre à l'étranger ne s'improvise pas ! Il est nécessaire de réaliser un certain nombre de démarches administratives. Par exemple, pour pouvoir percevoir sa pension (personnelle ou de réversion), un retraité français vivant à l'étranger doit prouver chaque année qu'il est toujours en vie. Pour cela, il reçoit de la part de ses caisses de retraite (obligatoire et complémentaires) un certificat d'existence. Un document devant être dûment rempli et renvoyé avant une date fixée par la caisse. À défaut de recevoir ce document dans les temps, la caisse de retraite peut suspendre le versement de la pension.

Pour simplifier les démarches de ces retraités, la direction de la Sécurité sociale est en train de mettre en place des outils de dématérialisation et de mutualisation des certificats d'existence. Concrètement, les retraités concernés pourront, a priori courant 2019, télécharger leur certificat depuis leur compte personnel retraite et le renvoyer (après signature par une autorité locale) via la même plateforme. Une dématérialisation qui permettra ainsi de supprimer progressivement les correspondances papier et les problèmes liés aux délais postaux. En outre, ce nouveau service aurait vocation à fonctionner avec l'ensemble des régimes de retraite. Ce qui signifie qu'un retraité n'aurait plus qu'un seul et même certificat à compléter pour l'ensemble de ses caisses de retraite.

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31 décembre 2017 7 31 /12 /décembre /2017 16:15
CSG : quel impact réel sur votre retraite en 2018 ?
©Boursier.com
 

Vous êtes retraité et vous vous demandez ce que va vous coûter la hausse de CSG en 2018 ? Pour vous aider à y voir clair, L'Argent & Vous a établi quelques simulations.

Etes-vous concerné ?

Afin de ménager les petites retraites, le dispositif adopté ne soumettra au surplus de CSG que les retraités qui paient la CSG à taux plein (6,6%). Les retraités qui paient la CSG au taux réduit (3,8%) ou qui sont exonérés ne seront pas concernés par la hausse de CSG.

Concrètement, il faudra regarder le revenu fiscal de référence (RFR) de 2016, c'est-à-dire le revenu pris en compte dans le dernier avis d'imposition reçu.

Un retraité célibataire ayant eu moins de 14.375 euros de RFR en 2016 ne paiera pas de surplus de CSG en 2018. Pour un couple de retraités, la limite à ne pas dépasser est de 22.051 euros.

Une ponction supplémentaire à prévoir

Si votre RFR 2016 a dépassé ces niveaux, vous devrez payer un complément de CSG en 2018. Le taux passera de 6,6% à 8,3% (+1,7 point).

Sachant que le taux réduit s'applique aux pensions imposables inférieure à 1.197 euros par mois (soit environ 1.260 euros bruts), nous avons établi des simulations pour les retraites supérieures à 1.300 euros bruts.

La perte de pouvoir d'achat correspondra alors à 1,7% de la pension brute. Comme le montre notre tableau, cette ponction supplémentaire sera par exemple de 22,10 euros pour une retraite brute de 1.300 euros et de 42,50 euros pour une pension de 2.500 euros bruts.

L'impact de la réforme à venir en fonction des retraites brutesL'Argent & Vous1.300 €1.500 €1.750 €2.000 €2.250 €2.500 €Surplus de CSG (1,7 point)22,10 €25,50 €29,75 €34 €38,25 €42,50 €
Un petit effet fiscal

Pour compléter l'analyse, rappelons également que ce surplus de CSG sera déductible fiscalement. Ainsi, les retraités concernés paieront plus de CSG mais un peu moins d'impôt.

Nous avons ici simulé l'impact pour une personne seule dont la retraite constitue l'unique revenu.

Pour les petites pensions (jusqu'à 1.550 euros bruts par mois environ), la déductibilité n'aura aucun effet, les retraités de cette catégorie n'étant pas imposés.

Au-delà, la déductibilité permettra aux retraités d'absorber une partie du surcoût engendré par la CSG. Pour une retraite brute de 2.000 euros, la déductibilité aboutira à une économie d'impôt de 121 euros, soit l'équivalent de 10,08 euros par mois. Ainsi, le coût réel de la réforme ne sera pas de 34 euros mais de 23,92 euros en tenant compte de l'impact fiscal.

Grâce à l'effet de la déductibilité, il est d'ailleurs à noter que la réforme coûtera in fine moins cher aux retraités gagnant 2.000 euros par mois qu'à ceux dont la pension se limite à 1.500 euros.

L'impact de la réforme à venir avec la déductibilité fiscaleL'Argent & Vous1.300 €1.500 €1.750 €2.000 €2.250 €2.500 €Surplus de CSG (1,7 point)22,10 €25,50 €29,75 €34 €38,25 €42,50 €Economie fiscale avec la déductibilité (par mois)0 €0 €-5,25 €-10,08 €-4,83 €-5,42 €Coût net22,10 €25,50 €24,50 €23,92 €33,42 €37,08 €
Précisions

L'impact fiscal sera moins marqué pour des retraites plus importantes. Ceci tient au fait que toute réduction du revenu imposable dans le bas de la grille donne droit à des allègements supplémentaires (décote, réduction forfaitaire). Or, ces dispositifs n'ont plus d'effet à partir d'un certain niveau de revenus. Par ailleurs, les simulations données ci-dessus ne sont qu'indicatives. L'impact fiscal et le coût net de la réforme pourront bien évidemment varier en fonction de la situation du retraité (composition du foyer, revenus annexes...).

 
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30 septembre 2017 6 30 /09 /septembre /2017 12:45
 

 

1 min de lectureLoi Travail
 
Pour Philippe Martinez, "Emmanuel Macron est déconnecté des réalités"

Le secrétaire général de la CGT a réagi aux récentes polémiques qui agitent la présidence d'Emmanuel Macron et notamment, sa réforme du Code du travail.

Philippe Martinez critique les intentions d'Emmanuel Macron

Sarah Ugolini 

  •  
et AFP

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, juge ce dimanche  10 septembre "scandaleuse" la déclaration du président Emmanuel Macron assurant qu'il ne cèderait rien aux "fainéants". 

Vendredi à Athènes, quelques jours avant la journée d'action contre les ordonnances réformant le code du travail, M. Macron a déclaré qu'il "serait d'une détermination absolue et ne céderait rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes". Interrogé dans Le Parisien de dimanche, le numéro un de la CGT fustige "plusieurs déclarations" présidentielles récentes, qui "ont mis les gens en colère". 

 

De qui parle le président (...)? De ces millions de privés d'emplois et de précaires ?

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.

"La dernière en date à Athènes est scandaleuse. De qui parle le président lorsqu'il dit qu'il ne cèdera rien aux fainéants ? De ces millions de privés d'emplois et de précaires ?", s'offusque Philippe Martinez. 
Alors que la CGT appelle à la mobilisation mardi 12 septembre contre la loi travail, son leader affirme qu'"il y a une effervescence et un très fort mécontentement qui va au-delà de la loi travail". Pour Philippe Martinez, "le président comme son gouvernement et sa majorité sont déconnectés des réalités". 

SOCIAL

Code du travail : "Une victoire à la Pyrrhus pour Macron", décrypte Olivier Bost

Des propos qui ont déjà suscité de vives réactions à gauche. "'Fainéants, cyniques, extrêmes' le président insulte ceux qui s'opposent à sa politique. Décidément Emmanuel Macron n'aime pas les Français", a tweeté le secrétaire national du Parti communiste Pierre Laurent. "Emmanuel Macron a lamauvaise manière de critiquer les Français à l'étranger. On n'est pas ses sujets", a aussi réagi le député insoumis Éric Coquerel.

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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 20:47
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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 20:31
Attaque de la mosquée de Créteil : coup de folie ou terrorisme ?
>Faits divers|Timothée Boutry|09 août 2017, 14h54|6
Créteil (Val-de-Marne). La mosquée a été la cible d’une attaque le 29 juin alors que des fidèles en sortaient.LP/CLAWDIA PROLONGEAU
 
 

Les responsables de la mosquée de Créteil, où un homme en voiture avait tenté de foncer sur des fidèles, contestent la décision de la justice, qui n'a pas retenu l'acte terroriste.

L'événement a laissé des traces. Le 29 juin, un drame était évité de justesse devant la mosquée de Créteil (Val-de-Marne). En fin d'après-midi, à l'heure de la sortie de la prière, un automobiliste a tenté de foncer en 4 x 4 sur les fidèles. Par chance, plots et barrières de protection ont freiné sa course. Le véhicule, dont le conducteur a été interpellé, a fini son embardée sans faire de blessé.

 

Le parquet de Créteil a ouvert une enquête pour tentative de meurtre en raison de l'appartenance supposée des victimes à une religion et dégradations volontaires de biens privés. Or les responsables de la mosquée se demandent pourquoi les investigations n'ont pas été confiées au parquet antiterroriste.

 

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Après l’attaque, la mosquée de Créteil prône le «vivre ensemble»

 

Le 12 juillet, ils ont adressé une plainte au procureur de la République de Paris afin d'obtenir la requalification des faits. Une requête rejetée, le parquet de Paris estimant, dans un courrier du 19 juillet que nous nous sommes procuré, « que le caractère terroriste des faits n'était pas établi à ce stade ». Dans cette plainte déposée par l'Union des associations musulmanes de Créteil et deux de ses membres, les responsables du lieu de culte précisent que, selon les informations communiquées à la presse, le conducteur « aurait indiqué vouloir venger le Bataclan et les Champs-Elysées ». Souffrant de problèmes psychiatriques, Babayan T. a été interné dans un hôpital psychiatrique.

 

Allusion à deux attentats

L'article 421-1 du Code pénal dit que les infractions « constituent des actes de terrorisme lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

« Or, en faisant référence à deux attentats revendiqués par l'Etat islamique, M. Babayan T. fait un lien entre ses actes et des actes terroristes auxquels il souhaiterait répondre », argumente dans sa plainte Me Yassine Bouzrou, avocat des responsables de la mosquée. Au lendemain de l'attaque, un membre du bureau de la mosquée s'épanchait dans nos colonnes : « J'ai vu les images de la vidéosurveillance et c'est d'une violence... Il faut appeler un chat un chat et, quoi qu'on en dise, c'est un acte terroriste qui touche la communauté musulmane. » Pour justifier sa décision, le parquet de Paris rappelle que « l'auteur présumé [...] ne jouit pas de toutes ses facultés mentales. Lors de son audition, il n'a à aucun moment évoqué un acte motivé par des considérations terroristes mais, de façon peu cohérente, une colère liée à la supposée profanation d'un monument commémorant le génocide arménien, proche de la mosquée », argumente surtout le parquet.

 

Cela n'a pas convaincu Me Bouzrou. « Le fait que M. Babayan T. ait fait référence au génocide arménien corrobore l'affirmation selon laquelle les faits ont été commis en raison de l'appartenance supposée des victimes à la religion musulmane, mais également l'affirmation selon laquelle ces faits constituent un acte visant à intimider ou terroriser les personnes de confession musulmane », argumente-t-il dans un courrier au parquet général. L'avocat a déposé un recours contre le classement sans suite de sa plainte.

 

  Le Parisien
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2 août 2017 3 02 /08 /août /2017 21:26
Réforme fiscale du gouvernement : les mesures visant les particuliers
Réforme fiscale du gouvernement : les mesures visant les particuliers
 

CSG, ISF, prélèvement forfaitaire unique... le gouvernement a dévoilé sa feuille de route en matière de fiscalité des ménages.
 

Lors de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, le Premier ministre, Édouard Philippe, a détaillé sa feuille de route des prochaines réformes à venir. Cette feuille de route, revue et corrigée il y a quelques jours, contient des mesures intéressant la fiscalité des particuliers.

Première mesure, le gouvernement souhaite mettre en place une exonération de la taxe d'habitation pour 80 % des Français. Une réforme devant entrer en vigueur dès le 1er janvier 2018. Rappelons que la taxe d'habitation, calculée annuellement et selon la situation du contribuable au 1er janvier, est due par les propriétaires, les locataires et les occupants à titre gratuit d'un logement. Sachant que certains contribuables modestes peuvent déjà en être exonérés.

Deuxième mesure, l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point. Cette hausse de la CSG, qui pourrait rapporter 21,5 milliards d'euros supplémentaires, servira à financer la suppression des cotisations salariales chômage et maladie, autre mesure du volet social du programme d'Emmanuel Macron. Là encore, l'entrée en vigueur de cette mesure serait fixée au 1er janvier 2018.

Troisième mesure, les pouvoirs publics ambitionnent de réformer l'impôt de solidarité sur la fortune. Concrètement, il s'agirait de reprendre les règles actuelles de l'ISF et de les recentrer sur le seul patrimoine immobilier des contribuables. Cet impôt sur la fortune immobilière, intégré dans la prochaine loi de finances, pourrait s'appliquer, lui aussi, dès le 1er janvier 2018.

Enfin, dans le but de simplifier la fiscalité des revenus du capital, un prélèvement forfaitaire unique de 30 % (la fameuse flat tax) serait mis en place. Cette taxation, intégrant les prélèvements sociaux, s'appliquerait aux capitaux mobiliers, aux intérêts, aux dividendes et aux plus-values. Aucune date d'entrée en vigueur de cette mesure n'a, pour l'heure, été communiquée.

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2 août 2017 3 02 /08 /août /2017 21:15
Feu vert du Parlement à la réforme du travail par ordonnances
Feu vert du Parlement à la réforme du travail par ordonnances
 

Fin de la première étape au Parlement pour la réforme du code du travail: le texte autorisant l'exécutif à légiférer par ordonnances a été adopté définitivement mercredi, par un dernier vote du Sénat, mais la contestation pourrait se déplacer dans la rue à la rentrée.
 

Un an après l'adoption de la loi El Khomri, qui avait déclenché la pire crise sociale sous un gouvernement de gauche, ce chantier prioritaire d'Emmanuel Macron qui vise à "donner plus de liberté et plus de protection" aux entreprises et aux salariés selon le gouvernement, donne le cadre des futures ordonnances sur lesquelles les arbitrages de l'exécutif seront présentés aux organisations syndicales et patronales fin août.

Plusieurs promesses de campagne d'Emmanuel Macron doivent figurer dans la longue liste de mesures, dont les décriés barèmes des dommages et intérêts prud'homaux pour licenciement abusif, la fusion des instances représentatives du personnel ou le rôle accru de l'accord d'entreprise.

Le projet de loi autorise également le gouvernement à revoir le périmètre des licenciements économiques, à modifier le dispositif du compte pénibilité ou à étendre le recours aux CDI de chantier. Hors du champ social, il permet de reporter d'un an le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, au 1er janvier 2019.

Le texte avait été adopté très largement à l'Assemblée le 13 juillet en première lecture grâce aux voix de la majorité REM et MoDem ainsi que de la droite, puis au Sénat, à majorité de droite, la semaine dernière, dans des versions différentes.

Depuis, sénateurs et députés se sont accordés sur une version commune, que l'Assemblée a encore largement votée mardi, par 421 voix contre 74, tandis que le Sénat l'a approuvée par 225 voix pour et 109 contre, PS, communistes et anciens du groupe écologiste.

Le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau avait annoncé un nouveau vote "positif" mercredi, tout en formulant "des regrets qu'il n'y ait pas eu, par exemple, de dispositif de sortie des 35 heures".

- "Démolition sociale" -

Mais les communistes des deux chambres, et les Insoumis à l'Assemblée, qui voient dans le texte "une loi de démolition sociale" et un "coup d'État social", ont promis de poursuivre la bataille.

Dès la rentrée, celle-ci pourrait se dérouler dans la rue lors d'une journée d'actions à l'appel de la CGT et SUD programmée le 12 septembre et lors d'un "rassemblement populaire" à l'initiative des Insoumis le 23 septembre.

La réforme, qui va plus loin que la très controversée loi Travail, inquiète les syndicats alors qu'elle est attendue d'"urgence" par le patronat, le patron du Medef Pierre Gattaz l'ayant notamment présentée comme "essentielle".

Les ordonnances, elles-mêmes, devraient être publiées au Journal officiel "autour du 25 septembre" et entrer en vigueur le lendemain.

Ce calendrier pourra être maintenu même en cas de recours au Conseil constitutionnel, selon la ministre du Travail Muriel Pénicaud, par ailleurs fragilisée par de nouvelles révélations sur une plus-value boursière après l'annonce d'un plan social lors de son passage chez Danone comme DRH.

"Vous inscrivez vos pas dans une offensive libérale n'ayant pour seul but que de sacrifier les droits sociaux et démocratiques des travailleurs", l'a accusée le sénateur Dominique Watrin (Communiste, républicain et citoyen) tout en évoquant l'Humanité du jour qui reparle de la rémunération des membres de la direction de Danone.

"Notre combat n'est pas terminé. Il se poursuivra dans l'hémicycle lors de l'examen du projet de loi de ratification des ordonnances", lui a-t-il assuré.

Jean-Louis Tourenne (PS) a dénoncé un texte "marqué par des orientations très libérales" et "une régression sociale". "Vous voulez gagner la croissance en fragilisant les salariés. Vous récolterez la révolte des salariés et une économie de nouveau à la peine", a-t-il dit.

En revanche, pour Nicole Bricq (REM), "notre objectif est atteint: l'exécutif que nous soutenons fermement garde sa latitude de réactivité aux propositions des partenaires sociaux et à sa capacité d'agir".

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14 juillet 2017 5 14 /07 /juillet /2017 21:06
Quand la France rêvait d’un calife pour son empire musulman

Les déclarations de François Hollande à la suite des attentats qui ont endeuillé la France sont symptomatiques de l’ambiguïté du rapport de la République à l’islam. Une équivoque qui se traduit à la fois par un déni de réalité et l’emploi de Français musulmans et des sources islamiques pour l’interprétation religieuse de ce qu’est le « bon islam » pour la République : un islam dirigé par les politiques. Une posture des pouvoirs publics à l’égard de l’islam et de ses institutions, notamment l’institution califale, qui s’inscrit dans la continuité des politiques françaises depuis la fin du XIXe siècle.

La déclaration de guerre sainte prononcée par les Ottomans au début de la Grande Guerre, corrélative aux débats théologiques dans le monde musulman dont la presse arabe se fit largement l’écho, posait d’une manière inquiétante la question du califat. La possibilité d’une déchéance du calife de Constantinople laissait entrevoir les avantages que la France pouvait en tirer : unifier l’islam de l’empire sous sa propre autorité. Comme il est question de l’unifier aujourd’hui sous la houlette de la Fondation pour l’islam de France d’abord, et par le Conseil français du culte musulman ensuite.

Consciente de l’éventualité de la perte de l’empire dans une guerre européenne, la France appuya dans un premier temps sa stratégie sur la remise en valeur de l’institution califale dans ses possessions musulmanes. L’islam était utilisé dans son sens le plus religieux, c’est-à-dire au sens de la foi, pour parer à toute débandade des soldats musulmans — dont on reconnaissait et louait déjà le loyalisme — et à un éventuel soulèvement des populations musulmanes dans les territoires sous domination française. Et dans sa version mystique populaire, par la sollicitation defatwas de marabouts, de chefs de confréries et de chérifs. C’est encore la voie choisie par les pouvoirs publics français : utiliser les imams pour diffuser dans les mosquées des prêches politiques à la suite de chacun des attentats en France depuis novembre 2015, et des islamologues pour fournir les explications les plus loufoques afin de maintenir les Français musulmans à l’écart des appels au djihad de l’État islamique.

Au début de la Grande Guerre, l’appel au soutien de l’islam officiel, c’est-à-dire aux souverains protégés par la France, fut écarté. D’une part pour ne pas renforcer les pouvoirs locaux ultérieurement, et d’autre part pour éviter d’éventuels soulèvements des populations musulmanes qui auraient vu d’un mauvais œil une alliance avec les puissances chrétiennes contre un État musulman. La discrétion partagée par les États occidentaux et les États musulmans au sujet de la participation de ces derniers à la guerre actuelle contre l’État islamique relève d’une logique identique à celle de la politique musulmane de la France du début du XXe siècle.

La formule autrefois utilisée dans les procès-verbaux de la commission des affaires musulmanes du ministère des affaires étrangères pour justifier la guerre contre l’empire ottoman : « Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple turc lui-même, mais contre les gens qui détiennent en ce moment le gouvernement de Constantinople… Victimes de leur agression nous luttons contre eux et contre eux seuls » ressemble à la raison actuellement donnée pour justifier les bombardements au Proche-Orient et en Afrique : la France n’est pas en guerre contre les populations irakienne, syrienne, yéménite, libyenne ou malienne, mais contre le groupe État islamique, une organisation terroriste qui sème la terreur dans ces pays. Victimes de leurs attaques sur le sol français, nous luttons contre eux et eux seuls.

Le Maroc, clé de voûte

Bien qu’ancienne, l’idée d’un califat d’Occident dépendant de la France pour unifier sa politique en Afrique du Nord, puis l’étendre aux autres possessions musulmanes, fut exprimée en 1915 par le maréchal Hubert Lyautey, non sans arrière-pensée : il s’agissait de reconstituer un empire à l’image de l’empire romain — plus précisément celui de Constantin – c’est-à-dire bipolaire et dont le Maroc serait la clé de voûte.

L’empire chérifien apparaissait aux politiques et aux diplomates français comme « l’homme malade » de l’islam d’Occident, d’où la tentation de reconstituer cet islam d’Occident sur le modèle de l’Église romaine, hiérarchisée et dirigée de fait et de droit par un monarque. Cette perception sera à l’origine de la bipolarité de l’autorité politique au Maroc, avec la construction d’un califat et de son appareil administratif, « le Makhzen », d’abord pour les musulmans du Maroc. Ensuite, il s’agissait d’étendre cet appareil administratif musulman à l’ensemble de l’empire français. L’administration moderne du protectorat fut chargée de l’autorité politique, de l’autorité militaire et des non-musulmans (catholiques et juifs autochtones), ainsi que d’organiser un État moderne et centralisé.

L’idée même de la séparation des pouvoirs temporel et spirituel en pays d’islam effrayait Lyautey. Monarchiste, fervent catholique, opposé à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, Lyautey faisait une lecture catholique du fait musulman et de son évolution : la puissance morale du calife serait beaucoup plus dangereuse pour les puissances chrétiennes, du fait de son dégagement des préoccupations du pouvoir temporel. Le pape était, pour lui, paradoxalement beaucoup plus puissant, sa capacité de ralliement plus importante à cause de l’abandon du pouvoir temporel. Le danger résidait pour Lyautey dans cette aura spirituelle que procure la renonciation à l’exercice du pouvoir. C’est ce qu’il craignait au sujet du chérif de la Mecque soutenu par les Britanniques pour le titre de calife. La sécularisation en terre d’islam était selon lui plus dangereuse qu’un islam cumulant les deux autorités sous domination chrétienne.

Cette proposition d’un califat marocain suscita une fronde chez ceux dont le pouvoir semblait menacé, et en premier lieu le gouvernement de l’Algérie qui voyait poindre les dangers d’une éventuelle application de la loi de séparation des Églises et de l’État aux départements français d’Algérie. Dès lors, le débat sur la question du califat révéla la dimension chrétienne du conflit. Les radicaux de gauche, les défenseurs de la laïcité et de cette loi étaient les plus farouches opposants à la séparation du temporel et du spirituel en islam, puisqu’elle signifiait une perte de pouvoir pour eux aux niveaux local et régional. Cette séparation n’était qu’un leurre, le pouvoir réel demeurant in fine entre les mains de la République et de ses représentants. Ses partisans étaient de fervents chrétiens comme Lyautey ou Defrance, qui soutenaient l’idée de la résurgence de l’empire romain d’Orient, tout en se gardant de faire la même erreur que Rome avec l’édit de Caracalla, supposé avoir causé la chute de l’empire. Toutefois, situation de guerre oblige, le gouvernement élabora une représentation consensuelle des musulmans de l’empire avec la création de la Société des habous des lieux saints de l’islam qui sera chargée plus tard de la construction de l’Institut musulman de la mosquée de Paris — inauguré d’abord par le sultan marocain en 1926 — et de la gestion religieuse de l’islam de France.

La chute du califat ottoman en 1924 et l’absence de nouveau calife dans l’Orient arabe mirent fin au projet officiel d’un califat d’Occident, mais pas à celui de catholiques qui exécraient l’athéisme inhérent à la loi de 1905 et nourrissaient l’espoir d’une restauration chrétienne en France dans le cadre politique de la séparation à partir d’un califat d’Occident. Si, en effet, la loi de séparation des Églises et de l’État a imposé la laïcité en tant que pratique politique et mode de gestion du social par les gouvernants, elle n’a pas pour autant changé les Françaises et Français en individus laïques ou athées. La pratique religieuse s’est émoussée dans certaines catégories sociales, mais pas dans la bourgeoisie, où la foi est restée quasi intacte.

Comme l’ensemble des Français, ces catholiques étaient, à la fin de la seconde guerre mondiale et au début des années 1950, tournés vers la construction européenne, portée par deux autres chrétiens, Charles de Gaulle et Robert Schuman. Ce projet répondait mieux aux attentes d’une restauration qui se satisferait plus d’une démocratie chrétienne à l’image des autres États européens — notamment celle de l’Allemagne — que d’un retour à un régime laïque républicain. Pourtant c’est la question marocaine, à la suite des répressions sanglantes des émeutes de Casablanca des 7-8 décembre 1952 et de la déposition du sultan Sidi Mohammed Ben Youssef et son remplacement par Mohammed Ben Arafa le 20 août 1953 qui provoqua la véritable scission, dans laquelle furent impliqués les catholiques du Maroc1. Certains intellectuels catholiques et politiques de gauche se scandalisèrent de la répression à Casablanca. Ils menèrent une campagne de presse orchestrée par Robert Barrat, André de Peretti, François Mauriac et d’autres intellectuels catholiques afin d’informer le public français des massacres. C’est à ce moment-là que réapparut le projet d’un califat pour l’islam d’Occident.

Lyautey et Mawardi

Le projet de Lyautey est entièrement inspiré par la théorie politique de Mawardi, Al-ahkam al-sultaniyya, (Les statuts gouvernementaux), et de son second volet, le principe de nécessité en islam ou darura, théorisé par Ghazali au XIe siècle. Selon ce principe, un calife trop faible pour s’opposer à un envahisseur entérine un état de fait, en confiant le pouvoir temporel à un vizir. Lyautey a joué ce rôle de « vizir usurpateur » ou de « maire du palais » animé par une dialectique religieuse et une logique qui ont dominé l’établissement du protectorat au Maroc : l’introduction par les autorités françaises de la notion hybride d’un « pape musulman » dans le traité du protectorat signé avec le sultan Moulay Hafid en 1912. Les politiques français ont privé le sultan de son autorité temporelle, déléguée à l’administration française.

Or, en 1954, les catholiques du Maroc, la Résidence générale et les coloniaux favorables à la déposition du sultan Mohamed V et partisans d’une administration directe (à l’algérienne) au Maroc dénonçaient cette centralisation de l’État moderne au Maroc qui a fortement contribué à renforcer la puissance spirituelle du sultan, afin de valider une nouvelle politique de centralisation du pouvoir sur l’empire au niveau de la métropole par l’annexion du Maroc aux départements français d’Algérie, le projet d’Union africaine qui se dessine à l’ombre de l’Union européenne depuis 1946 chez les coloniaux ne pouvant être viable qu’à ce prix. Cette proposition repose aussi sur la théorie du califat, non plus sur celle de Mawardi, mais sur celle d’Ibn Khaldoun, dans laquelle est introduite une distinction entre le pouvoir califal, al-khilafa, d’origine divine et révélée, du pouvoir royal, al-mulk, d’origine humaine et rationnelle, donc temporelle.

Un débat parmi les catholiques

À l’encontre de la position de Lyautey qui souhaitait un califat fort pour maintenir sous domination islamique l’ensemble de l’empire musulman, on voulut le réduire après la seconde guerre mondiale à sa plus simple expression, l’imamat. Quant au pouvoir politique, il devait appartenir à la République qui, par l’intermédiaire d’une administration forte et directe, devait « jouer le rôle des rois de France, de protéger les humbles, favoriser les communes. »

La prise de position d’intellectuels catholiques et politiques de gauche est symptomatique de la dimension chrétienne des différentes crises marocaines depuis la christianisation avortée des Berbères par le dahir (décret chérifien) de 1930. Ces crises ont constitué autant d’« espaces autres » à un conflit interchrétien sur la monarchie en France, la séparation des Églises et de l’État, l’égalité des dogmes non chrétiens, la légitimité de la christianisation en contexte colonial, la constitution d’une Église musulmane dont le chef serait un calife musulman et une christianisation progressive des autochtones pour les autres.

Elle s’inscrit aussi dans le débat qui agitait les catholiques depuis 1930 sur l’entreprise coloniale, cristallisé lors des semaines sociales de 1948 et 1954, sur fond politique de l’Union française2 et d’accession des Algériens musulmans à la citoyenneté française. À l’époque déjà, l’islam métropolitain et les Français musulmans étaient associés à cette prise de position d’une solution politico-religieuse pensée en dehors d’eux. Les intellectuels catholiques qui avaient réussi à s’associer les anticolonialistes de tous bords créèrent dès 1947 deux associations : le Comité chrétien d’entente France-islam (27 juin 1947) ? par Louis Massignon qui bénéficia du soutien du Vatican jusqu’en 1962 ; et France-Maghreb (juin 1953), par André de Peretti. Ces associations organisaient des prières pour dire la Fatiha (première sourate du Coran) et des jeûnes tous les vendredis à la Mosquée de Paris avec Si Kaddour Ben Ghabrit.

La politique actuelle de contrôle de l’islam et des Français musulmans par l’intermédiaire de la Fondation de l’islam de France, et les débats sur la question de l’identité nationale, la déchéance de la nationalité ou l’espace de la laïcité s’inscrivent dans cet acquis colonial qui dénie aux Français musulmans le statut d’égalité citoyenne tant que leur foi reste musulmane.

1Lire Robert Montagne, Révolution au Maroc, Éditions France Empire, 1954.

2Union territoriale du Maroc à l’Algérie, et intégration politique de l’ensemble à l’Afrique occidentale française (AOF) et à l’Afrique équatoriale française (AEF) en passant par le Sahara.

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14 juillet 2017 5 14 /07 /juillet /2017 20:56
Les racines coloniales de la politique française à l’égard de l’islam

« Civiliser les musulmans »

Comment comprendre le décalage entre les attentes et besoins des Français musulmans et les orientations politiques gouvernementales ? La gestion de l’islam et du culte musulman par la France durant la période coloniale permet d’apporter une réponse et de mesurer combien la vision de Paris a été forgée par la lecture catholique du fait religieux.

L’expansion coloniale en pays musulmans pousse les gouvernants français à rechercher une politique qui permette la centralisation des décisions en matière de gestion de l’empire, pour régir les différents statuts juridiques faisant relever les pays d’Afrique, puis ceux du Proche-Orient, de divers ministères. Une formule politique tenant compte d’une part du fait religieux musulman — plus tard du fait religieux chrétien —, et d’autre part autorisant la centralisation du pouvoir et des décisions au niveau du gouvernement de la métropole. Une fois la continuité territoriale de l’Afrique du Nord acquise par la certitude d’un protectorat sur le Maroc en 1911, cette politique musulmane se concrétise par la création de différents organismes et institutions qui concerneront à la fois l’organisation et la gestion politique de l’empire mais aussi la gestion des musulmans (émigrés et étudiants) en métropole.

L’ensemble des ministères se trouvait représenté dans ces organismes : la Commission interministérielle des affaires musulmanes, CIAM (1911-1938), le Haut Comité méditerranéen et ses différentes commissions et sous-commissions (HCM, 1935-1939) et le Centre des hautes études d’administration musulmane (Cheam, 1936-2000). Très vite, on y a adjoint des universitaires, spécialistes du monde musulman et du monde arabo-africain, dont les plus célèbres sont Louis Massignon (islamologue, 1883-1962), Robert Montagne (sociologue-politologue arabisant, 1893-1954), Charles-André Julien (historien de l’Afrique du Nord, 1891-1991), Jacques Berque (sociologue, arabisant, 1910-1995) et Vincent Monteil (islamologue et sociologue, arabisant et africanisant, 1913-2005).

Selon les périodes, la mise en place et la pratique de la politique musulmane ont pour fonction première soit de favoriser l’expansion coloniale, soit de maintenir la stabilité politique en Afrique du Nord, clé de voûte de l’empire. C’est une politique assumée de gestion de la religion, perçue comme un fait social total : l’islam est une idéologie de mobilisation et de contestation et un fait sociologique. Il est ahurissant de constater aujourd’hui que cette conception n’a pas changé, alors que les musulmans de France ne sont plus des indigènes, mais des Français depuis plusieurs générations, eu égard à l’installation des premières familles algériennes en France en 1882.

Trois étapes d’une politique

Cette politique musulmane a connu trois grandes phases qui ont combiné différentes stratégies politiques de centralisation ou d’unification. Elles ont donné, en fonction des intérêts nationaux ou internationaux, la priorité à des essais de centralisation régionale nord-africaine (avec la mise en place des conférences nord-africaines) essentiellement centrés sur une collaboration économique ou sur une centralisation régionale méditerranéenne (avec le HCM), doublée d’une centralisation politique avec prise de décisions au niveau de la présidence du conseil des ministres.

Une première phase (1914-1923) s’ouvre avec la création de la CIAM, organe consultatif sans réel pouvoir de décision, qui a néanmoins influencé les politiques. Elle montre clairement que la politique musulmane voulue s’est trouvée dès son origine enfermée dans un étau idéologique multidimensionnel qui met en jeu des choix politiques de gouvernance nationaux (centralisation versus décentralisation) et des choix politiques de gestion de l’empire (administration directe versus administration indirecte relevant de deux idéologies : assimilation vs association et laïcité vs pluralité religieuse).

La focalisation de ces débats sur la question de la gestion et l’organisation politique de l’empire ont constitué un frein à toute tentative d’unification ou de cohérence politique, y compris au niveau de la formation et des traitements des personnels civils ou militaires appelés à servir outre-mer. Dès lors, le concept même de politique musulmane est fluctuant, utilisé par tous les acteurs politiques ou personnalités publiques concernés : il désigne une politique d’assimilation pour les uns, d’association pour d’autres, voire une synthèse des deux en fonction des intérêts en jeu. Cet état de fait a renforcé l’ambiguïté dans l’opinion publique et a rendu impossible ne serait-ce qu’une politique économique commune aux trois pays du Maghreb, les tenants de chacune des idéologies craignant de perdre en indépendance locale.

Lors de la seconde phase (1923-1935), le consensus des différents acteurs politiques ne se fera que sur la dimension symbolique de l’islam, et sur sa « nécessité » diplomatique locale, régionale et internationale. C’est au cours de cette période, qui connaît un fort accroissement de la présence musulmane en métropole, que la République opte pour une gestion bicéphale de l’islam et des musulmans. D’un côté, elle délègue la gestion religieuse, sociale et répressive aux préfectures, dont la préfecture de la Seine fournit le modèle d’une administration directe à « l’algérienne ». De l’autre, elle fait de l’Institut musulman de la mosquée de Paris un archétype de gestion « sultanienne » à usage diplomatique relevant du ministère des affaires étrangères.

Enfin, la troisième phase (1935-1954) voit la mise en place d’un quasi-gouvernement métropolitain de l’empire, avec l’aboutissement de plusieurs projets d’uniformisation de la politique à l’égard des musulmans de l’empire. Une phase dans laquelle s’inscrivent activement les plus grands orientalistes français de confession chrétienne, les fonctionnaires-savants-experts dont certains sont de fervents catholiques. C’est le cas notamment de Robert Montagne, Louis Massignon et Vincent Monteil ; Charles André Julien et Jacques Berque étant de foi plus tiède.

Gestion bicéphale

L’Institut musulman de la mosquée de Paris est inauguré en 1926 en hommage aux combattants de la Grande Guerre. Il est confié à un haut fonctionnaire musulman du ministère des affaires étrangères, Si Kaddour Ben Ghabrit. Familier de la cour des sultans marocains, il veillera à donner de ce lieu une double image, celle de l’Andalousie perdue et celle de la monarchie marocaine. Le financement de la construction a relevé d’un montage subtil entre deniers de la République et deniers des territoires musulmans sous domination :
- la loi du 9 juillet 1920 accorde une subvention de 500 000 francs à la société des Habous des lieux saints de l’islam au titre du ministère des affaires étrangères pour le gouvernement ;
- la ville de Paris attribue une subvention de 1 600 000 francs, prend en charge de coûteux frais d’actes notariés (cessation-enregistrement…) et concède un terrain de 7 400 mètres carrés ;
- le gouvernement général de l’Algérie accorde une subvention de 100 000 francs ;
- la Résidence de Rabat donne 100 000 francs également, inscrits sur les budgets chérifiens de 1921-1922 ;
- la Résidence de Tunis accorde 30 000 francs, inscrits au budget 1921 de la Régence ;
- la colonie du Tchad octroie 5 000 francs, inscrits au budget de 1922.

Des comités de souscription sont créés dès l’été-hiver 1920 dans toutes les villes et centres urbains d’Afrique du Nord pour récolter le budget nécessaire aux travaux de construction, soit 3 000 000 francs pour toute l’Afrique du Nord. L’argent est confié à deux banques en territoire musulman : la banque de l’Algérie pour l’Algérie et la Tunisie, et la banque d’État au Maroc pour le Maroc. En revanche, la gestion financière et la surveillance générale de l’Institut musulman de la mosquée de Paris ne sont pas confiées à Ben Ghabrit, mais à un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur, Paul Valroff. De leur côté, les imams présents en métropole pour assister les musulmans sont rémunérés par les deux protectorats et le gouvernement de l’Algérie.

Cette gestion bicéphale de l’islam est toujours en vigueur. La question du financement des mosquées et celle de la formation des imams font encore débat. Le premier ministre Manuel Valls vient de décider la création de la Fondation des œuvres de l’islam en France (FOIF), dont la présidence est proposée à Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’intérieur ; et il appelle à la formation d’imams français en France.

Laïcité et organisation des religions

La remise en cause du référent « identitaire laïciste-universaliste » — étroitement lié à l’actualité en France et au contexte international troublé par « un retour à l’islam » — réactive le besoin d’un savoir sur l’islam au sein même du champ des sciences sociales. La production universitaire et intellectuelle n’a jamais été si prolifique, les analyses politiques, théologico-politiques n’ont jamais eu autant le vent en poupe que ces derniers temps, sans parler de tous ces nouveaux programmes concoctés on ne sait comment, dédiés à l’étude de la « radicalisation » et à la déradicalisation des jeunes Français musulmans.

Or, les origines du concept de politique musulmane, l’histoire des institutions qui ont été mises en place pour la définir dévoilent l’existence d’un authentique paradigme de politique publique visant à la fois les politiques religieuses françaises en situation coloniale et les Français musulmans issus des ex-territoires de l’empire. Elles dévoilent également l’ambiguïté du rapport au fait religieux, aussi bien chrétien que musulman, dans des institutions qui sont en principe laïques.

La question de la gouvernance de populations musulmanes sous domination d’une République française laïque dissimulait des questions propres aux catholiques dans la République, à savoir :

- le double rapport entre le politique et le religieux et l’intervention du religieux dans le politique, comme si le système républicain français et l’encyclique vaticane de Léon XIII, Rerum Novarum 1891, ne l’avaient pas définitivement tranchée ;

- l’égalité du christianisme avec les autres religions monothéistes qui aurait conduit inévitablement à leur traitement égalitaire par le politique.

Ces interrogations sont projetées sur l’empire arabo-africain, dès lors que la question de la centralisation de sa gouvernance au niveau de la métropole s’est posée et qu’elle n’a trouvé d’autre facteur d’unité que l’islam. Elle s’est traduite par la récurrence de l’ambition souhaitée et crainte à la fois de fédérer ces populations musulmanes de l’empire autour d’un califat marocain sous protection française pour représenter l’islam d’Occident — qu’il faut entendre au sens d’islam de l’empire arabo-africain. Celui-ci était perçu d’emblée comme malléable à cause de la présence en son sein de nombreuses confréries, considérées comme autant d’hérésies, toutefois hiérarchisées et reflétant le modèle des églises protestantes.

Une lecture catholique du fait religieux

Ces projections révèlent en fait la lecture catholique du fait religieux musulman par les décideurs français et les dissensions au sein du catholicisme français sur des questions purement théologiques comme l’égalité des dogmes monothéistes, ou politiques, comme sur la Palestine ou l’indépendance des États musulmans.

Les espaces coloniaux arabo-musulman et arabo-africain sont devenus le terrain d’expression de conflits interchrétiens, d’ordre philosophico-religieux et/ou politico-religieux. Cela grâce au rôle joué par Montagne, Massignon, Berque ou Monteil et de nombreux orientalistes arabisants et/ou africanisants, qui sont en majorité de fervents catholiques, et d’autres colonialistes laïques qui partageaient leurs points de vue au plus haut niveau de l’État français. Aujourd’hui, cette vision intégrée par les décideurs français, les personnalités publiques politiques, religieuses, laïques et certains Français musulmans est réactivée, actualisée. Elle pose très précisément la question de l’islam en France, de part et d’autre, dans des termes identiques : la radicalisation de certains jeunes et la réforme administrative de l’islam. Comme à l’époque coloniale, cette radicalisation est imputée à l’absence d’un clergé musulman (califat ou ministère du culte musulman) et à l’absence de réforme de l’islam — réforme religieuse et pas administrative, même si la question du financement est présentée comme prioritaire.

À l’instar de la période coloniale, ce qui est en jeu, c’est la réinterprétation du Coran dans une version qui serait à la fois conforme aux lois de la République et très proche du culte catholique, dans la mesure où ce sont les textes fondateurs de l’islam qui sont incriminés. La vindicte inscrite dans le Coran et la Sunna et/ou leur aspect apocalyptique et eschatologique seraient à l’origine ou expliqueraient la radicalisation de certains jeunes Français ou Européens qui mettent en acte ces textes appris en commettant des attentats terroristes, d’après les analyses théologico-politiques d’islamologues qui ont aujourd’hui le vent en poupe, comme à l’époque coloniale. En effet, les analyses théologico-politiques des islamologues actuels qui tendent à incriminer les textes fondateurs de l’islam — alors que les Français de confession musulmane sont soumis aux lois de la République et ne les remettent aucunement en cause —, ne font que reprendre les argumentaires des fonctionnaires-savants-experts des générations précédentes qui se prévalaient de l’incompatibilité avec la pleine citoyenneté de la loi islamique (charia) et du code du statut civil musulman pour justifier la nécessité de la réforme religieuse de l’islam. Or, si soumettre les sources de l’islam à la raison critique et à l’ijtihad, c’est-à-dire l’effort d’interprétation, s’avère d’une double nécessité nationale et internationale pour les sociétés musulmanes en mutation concernant la réforme des codes de statut civil et lois issues de la loi islamique, cette « relecture » ne se justifiait et ne se justifie en France que par l’objectif ancien et inavoué de la création d’un nouveau schisme en islam. Un schisme qui serait totalement intégré aux autres cultes chrétiens, à défaut d’une conversion des musulmans français au christianisme.

D’un autre côté, certains Français musulmans très pratiquants1 — en ce sens souhaitant se conformer à la lecture littéraliste des textes fondateurs dans leur vie quotidienne —, objets de la vindicte islamophobe et raciste, harcelés par les forces de l’ordre en particulier pour des questions vestimentaires dans l’espace public ces dernières années, répondent à cet état de fait par la hijra ou exode, c’est-à-dire un départ de la France, leur pays de naissance, pour aller s’installer et vivre dans un pays musulman. À l’instar des Algériens s’installant en Syrie, un territoire musulman entre 1908 et 19122, ceux d’aujourd’hui se dirigent vers le Maroc, pays musulman gouverné par un commandeur des croyants, où l’expression pluraliste des pratiques religieuses — des plus lâches au plus rigoristes — est acquise par le fait même de la suprématie religieuse du monarque sur toutes les autres.

Aujourd’hui comme par le passé, la politique musulmane de la France modèle les mises en représentation politiques et savantes des identités religieuses en France et dans le monde arabo-africain. Elle définit aussi la structuration et la non-structuration de l’islam en France, le liant indéfiniment aux questions géopolitiques et géostratégiques ainsi qu’aux questions des migrations nord-africaines, africaines et orientales. De fait, les solutions proposées par Manuel Valls et l’appel des Français et musulmans3, qui fait écho à celui des « musulmans évolués » d’Algérie comme on les appelait à l’époque coloniale, ne sont qu’un mauvais remake de cette sacrée mission civilisatrice des populations musulmanes.

1Il ne faut pas confondre ce phénomène de départs des Français musulmans avec celui des Français ou Européens qui ont islamisé la violence, la radicalité et partent vers la Syrie pour rejoindre les rangs de l’organisation de l’État islamique.

2La destruction des structures et institutions religieuses musulmanes et le sabotage quasi systématique de l’enseignement arabo-musulman et des associations cultuelles par les autorités françaises en Algérie avaient fini par pousser un certain nombre de notables mais aussi de jeunes Algériens musulmans à quitter leur pays pour migrer vers la Syrie ottomane. La hijra, émigration pour la foi, fut l’ultime arme politique des Algériens pieux pour faire valoir leurs droits au libre exercice de leur culte en Algérie française.

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