«Ici, c’est comme le festival de Glastonbury, mais sans la musique», rigole Noor Hadi. Au volant de sa voiturette de golf, l’apprenti imam slalome entre les flaques. C’est l’été à Alton, mais, comme souvent dans la campagne du Hampshire, pluie et boue sont au rendez-vous pour le 51e Jalsa Salana, le festival international annuel de la communauté musulmane ahmadie.

Les 80 hectares de Oakland Farm ont été transformés en une gigantesque foire, des tentes ont été érigées pour accueillir plus de 30 000 croyants venus d’une centaine de pays. Il y a des réfectoires, des salles d’exposition d’art islamique, des organisations caritatives ou des studios de télévision.

«Comme le pape, sans la fumée»

Au centre se dresse la tente principale, le lieu de recueillement où officie le calife, Hazrat Mirza Masroor Ahmad, le chef spirituel de cette communauté particulière au sein du monde musulman. «Il est désigné comme le pape, par un collège de représentants, mais sans la fumée», glisse notre guide. Noor Hadi nous tend des écouteurs, qui traduisent en une quinzaine de langues les sermons du calife, mais aussi les magnifiques poèmes chantés en ourdou ou en persan.

La communauté ahmadie a profité de cette occasion pour monter une formidable opération de relations publiques. Les récents attentats au Royaume-Uni, à Manchester (le 22 mai, 22 morts) et à Londres (le 22 mars, 5 morts, et le 3 juin, 8 morts) ont notamment inspiré cette démarche. Au lendemain de l’attentat de Manchester, la communauté avait imprimé des tee-shirts sur lesquels était inscrit «Je suis musulman, demandez-moi ce que vous voulez». Dans les jours qui ont suivi, le nombre d’attaques islamophobes a été multiplié par cinq, a indiqué la police britannique. Et depuis quatre ans, la hausse des incidents violents contre la communauté musulmane au Royaume-Uni est significative.

«Nous, on a trouvé le messie»

Si lors du festival, tout est parfaitement organisé, ouvert, transparent et surtout blindé au niveau sécurité, les ahmadis sont, en général, dans une situation délicate. «On est persécutés par ceux qui nous connaissent et par ceux qui ne nous connaissent pas, explique l’imam Irfan Thaker, 27 ans, un Français installé en Suisse. D’où notre désir de parler, de nous faire connaître, parce que notre véritable ennemi, c’est l’ignorance.»

Le mouvement ahmadiyya est né en 1889, fondé par Mirza Ghulam Ahmad. Ce dernier, originaire dans le Penjab indien (encore sous domination britannique), se présente comme la réapparition du messie, de Jésus, et devient le calife de la communauté qu’il inspire. Les ahmadis suivent exactement les mêmes principes que l’islam sunnite ou chiite, à la «différence fondamentale que ces musulmans attendent toujours le messie qui va les remettre dans le droit chemin. Alors que nous, on l’a trouvé», résume Asif Arif, avocat au barreau de Paris. Qui est aussi le représentant de la communauté en France, forte d'environ 1 500 personnes. Une goutte d’eau par rapport au Royaume-Uni, où ils sont plus de 30 000. Et entre 10 et 20 millions dans le monde. Le nombre de fidèles ne cesse d’augmenter, de 500 000 en 2016, de 600 000 en 2017. Les ahmadis restent néanmoins une toute petite minorité parmi les quelque 1,8 milliard de musulmans.