Paris, le lundi 16 janvier 2017
Lettre ouverte de Dounia Bouzar à Nathalie Goulet
suite au communiqué de la sénatrice UDI Nathalie Goulet en date du 12 janvier 2017
Madame la Sénatrice,
Depuis deux ans, je vous entends réclamer des comptes (de fond et de forme) sur les actions liées à la lutte contre la radicalisation du gouvernement, et notamment sur la mission ministérielle que j’ai menée pendant un an.
Ayant pris notre indépendance vis-à-vis du gouvernement, face au silence réitéré de celui-ci suite à vos demandes, et comme je n’ai pas eu l’occasion d’être auditionnée sur mes résultats, il m’est enfin possible de donner les éléments utiles que vous attendez. C’est d’autant plus nécessaire que je vous rejoins dans nombre de vos propositions, et notamment toutes celles qui veulent institutionnaliser et professionnaliser cette nouvelle action publique. Pour chacune des informations qui vont suivre, je tiens à votre disposition les justificatifs de ce que j’avance. Je les tiens aussi à disposition de tout journaliste. Mes documents deviennent consultables car le temps de la désinformation et de la diffamation a assez duré. Face à la terreur, nous avons besoin de rester un peuple qui pense.
Sachez d’abord que je codirige une SARL depuis 2008 devenue une TPE où j’emploie actuellement 8 salariés : le cabinet Bouzar-expertises, spécialisé dans la gestion du fait religieux et la lutte contre les discriminations. Il s’agit d’une entreprise familiale mère-filles que nous avons créée quand j’ai quitté le Ministère de la Justice car je voulais travailler ce sujet de manière efficace et en toute autonomie.
Début 2014, le Ministère de l’intérieur et le CIPD, appelé aujourd’hui le CIPDR[1], nous ont contacté car une soixantaine de parents impactés par la radicalisation de leur enfant avaient pris contact avec moi après la publication d’un de mes ouvrages sur le sujet. L’équipe de Bernard Cazeneuve m’a demandé explicitement :
- de rédiger un premier rapport sur le processus de radicalisation à partir des enregistrements des conversations des jeunes avec leurs recruteurs que les parents m’avaient fourni ;
- de mettre en place une recherche sur les indicateurs d’alerte pour faire la différence entre musulmans et radicaux, ce que Nicolas Sarkozy, puis Manuel Valls, alors Ministres de l’Intérieur, m’avaient refusé les années précédentes ;
- de former les premiers fonctionnaires impactés, sous la direction du CIPD, en collaboration avec la MIVILUDES ;
- de construire quelques premières vidéos pédagogiques de témoignage et de les aider à construire leur communication.
L’équipe de Bernard Cazeneuve m’a expliqué qu’il était « préférable de monter une association pour les questions de financement » et m’a demandé « d’abandonner mon entreprise ». Mes filles se sont opposées à la fermeture de notre SARL : nous avions des clients en cours sur le long terme qui attendaient la suite de notre travail (entreprises et institutions publiques ou semi publiques) et elles n’étaient pas certaines que le gouvernement allait accepter pendant longtemps mes postures de ne pas « essentialiser l’islam ». J’ai donc proposé un compromis au gouvernement : je monterais une association pour ces 4 chantiers publics mais l’une de mes filles gérerait seule notre SARL.
En avril 2014, je quitte mon entreprise et je monte donc avec plusieurs experts le fameux CPDSI[2], structure support pour conduire les 4 actions gouvernementales.
- En juillet 2014, le CPDSI se voit attribuer 50 000€ pour la réalisation du rapport et des recherches.
- En octobre 2015, le CPDSI se voit attribuer une subvention de 188 000€, versée en 3 acomptes, pour les actions de prise en charge des familles, expérimentation des premiers suivis et formation des professionnels des premières cellules préfectorales. Nous embauchons nos 5 premiers salariés temps plein sur ces fonds ainsi que l’ensemble des déplacements / locations de salle, etc.
Chose promise, chose due : pendant les 6 derniers mois de l’année, nous assurons une vingtaine de formations, fabriquons des premières vidéos pédagogiques (CLIP DE PRÉVENTION CPDSI, ENDOCTRINEMENT, MODE D’EMPLOI), rendons le premier rapport sur le processus d’embrigadement, proposons les premiers indicateurs d’alerte. Mais bientôt, plus de 325 familles appellent et nous les prenons en charge en attendant que les équipes des préfectures deviennent compétentes.
A cette époque, personne ne comprend comment le djihadisme arrive soudain à toucher autant de jeunes différents. Je m’appuie sur mes recherches antérieures pluri-disciplinaires depuis 2006 et sur la recherche-action que je mène avec les 325 premiers parents pour avancer sur la compréhension du problème et fabriquer des outils. Tout est fait dans la précipitation. Un matin, à 6 heures du matin, je dois être à Paris pour former les écoutants du Numéro vert de l’UCLAT qui seront en fonction quelques heures plus tard.
Fin janvier 2015, au moment du bilan annuel 2014, l’équipe de Bernard Cazeneuve nous demande de répondre à un appel d’offre, qui démarre en avril 2015 pour devenir « équipe mobile d’intervention» sur toute la France et les DOM TOM. Il s’agit en quelque sorte d’officialiser le travail de terrain que nous menons déjà et de finir de former les équipes anti-radicalité des préfectures de France qui le souhaitent.
Cet appel d’offre prévoyait un budget annuel unique de 595 300€ TTC, versé en 4 acomptes, sur présentation de factures, au fil du déroulement de la mission et de son contrôle. Il a été souvent rappelé qu’aucune autre association ou entreprise n’a postulé à cet appel d’offre pour lequel nous avons été retenus.
J’ai donc accepté de terminer ce que j’avais commencé, en élargissant l’équipe salariée et en employant des nouvelles personnes, qui étaient avant cette embauche bénévoles ou auto-entrepreneurs. Une de mes filles, Laura, étant finalement venue nous aider bénévolement, car le travail était trop intense (2 nouvelles familles nous contactaient chaque jour...), j’ai décidé, au moment de l’appel d’offre, de l’embaucher avec les autres. Nous étions donc 7 salariés temps plein en tout.
Comme vous le savez, au moment du bilan 2015, alors que nous avions suivi plus de 400 nouvelles familles, directement ou par l’intermédiaire des équipes de préfectures, et bien que les équipes du ministère reconnaissent l’efficacité de notre travail et souhaitent prolonger le contrat (extrait audio), nous refusons en réunion interministérielle en février 2016 la reconduction tacite de l’appel d’offre, soit un deuxième versement de 595 300 €, et signifions nos divergences de fond avec la politique gouvernementale par voie de communiqué de presse le 11 février 2016. Mais au fond, je reprochais aussi de nombreuses incohérences dans la gestion de ce dossier à l’équipe gouvernementale.
Avec l’accord du conseil d’administration, j’ai donc demandé au Commissaire au compte assermenté d’enregistrer la fermeture du CPDSI[3] dès que le bilan comptable 2016 serait rendu, puisqu’il avait été monté uniquement pour cette mission publique. Je suis retournée à ma SARL, comme prévu, et à mon cœur de métier : la recherche et la formation des professionnels.
Madame Goulet, puisque vous ne m’avez jamais auditionnée sur les résultats de cette mission[4] ou que vous ne m’avez jamais demandé de rendez-vous de travail, je vous résume ces incohérences institutionnelles de gestion qui rejoignent certaines de vos questions au gouvernement :
- Pas de dispositif sérieux du gouvernement pour la sécurité de leur équipe missionnée pour lutter contre le terrorisme...
Madame Goulet, vous avez soulevé la question de la compétence des professionnels à plusieurs reprises. C’est une vraie question : le gouvernement doit créer un statut qui permette à ces nouveaux professionnels d’avoir des bonnes conditions de travail et leur permettre de garder une vie privée suffisamment sécurisée.
Au cours de notre mission du CPDSI, les personnes diplômées (assistante sociale, psychologue) n’ont pas supporté le niveau de danger que nous faisait courir notre mission. Dès le début, les recruteurs djihadistes nous avaient repérés du fait que de nombreux adolescents se retournaient contre eux sur internet et leur expliquaient qu’ils avaient compris leur fausse propagande grâce au CPDSI. J’ai été mise sous protection mais aucun membre de mon équipe ne l’était. Ces salariés étaient pourtant autant en danger que moi. Mes officiers de sécurité, que je considérais comme de véritables « anges-gardiens » et pour qui j’ai demandé au Ministère de l’Intérieur une félicitation et une décoration, essayaient de leur transmettre les premières règles de vigilance : ne jamais prendre le même chemin pour rentrer chez soi, ne pas communiquer sur ses enfants dans les réseaux sociaux, changer souvent de vêtements et de sac à main, regarder sans arrêt dans son rétroviseur au volant, etc. D’autre part, à l’heure où, Madame Goulet, vous nous accusiez de ne pas être sérieux parce qu’on ne possédait pas de bureau, mes officiers de sécurité nous imposaient de ne jamais nous réunir au même endroit. Il fallait donc louer des salles ici ou là, et bientôt, les équipes de policiers demandées en renfort aux préfectures furent si voyantes (2 camions de policiers lourdement armées) que de nombreux hôtels nous refusaient la location d’une salle. Il fallait ruser pour trouver des endroits à Paris et dans les grandes villes, où nous pouvions organiser nos séances de déradicalisation et de travail.
Rapidement, seuls les bénévoles ont montré leur capacité de résistance nerveuse, probablement parce qu’ils étaient issus de familles impactées par le djihadisme : l’un avait perdu sa sœur, l’autre sa nièce, la troisième était divorcée d’un radical, etc. J’ai donc été pragmatique : face à la déferlante de démissions des diplômés terrifiés et à l’accroissement des jeunes qui tentaient de partir pour la Syrie, j’ai embauché ces bénévoles qui étaient tellement mobilisés qu’ils en avaient oublié leur terreur. J’ai complété cette équipe par un travailleur social, une infirmière psychiatrique, une psychologue. Puis la terreur a augmenté : les attentats sur le sol français se sont enchaînés, mes officiers ont désamorcé avec l’aide de parents et de jeunes en train de se stabiliser deux tentatives d’attentats contre nous pendant nos réunions, Daesh a commencé à nous mentionner dans ses écrits... Mes officiers nous ont fait déménager deux fois... J’ai réclamé une protection pour tous les membres de mon équipe et demandé des salles sécurisées munies de dispositifs Vigipirate pour nos séances. A chaque réunion de comité de pilotage interministériel, cela n’aboutissait pas. Aucun ministère n’a souhaité nous accueillir pour des raisons de sécurité. Nous devions continuer à nous débrouiller seuls : utiliser des faux noms pour trouver un hôtel qui accepte de nous louer une salle et qui ne nous mette pas dehors quand les clients voyaient arriver à tour de rôle des femmes niqabées, des hommes aux cheveux longs auxquels il ne manquait que la kalachnikov, et des camions de policiers armés jusqu’aux dents.
Lorsque je suis rentrée d’un colloque en Australie, fin février 2016, mes officiers m’ont annoncé que je n’avais plus le droit de prendre le train ou le métro, de faire 10 mètres à pied seule « parce que j’étais considérée comme un danger public » : je passais en UCLAT 2, (un statut à priori surtout lié aux postes d’ambassadeurs sensibles m’a-t-on dit), dispositif qui impose 6 policiers en permanence avec soi, en armes lourdes, avec une voiture blindée. Ils m’ont aussi annoncé que des sentinelles armées de mitraillettes seraient postées en bas de mon immeuble. Je m’y suis immédiatement opposée, car j’étais persuadée que cette visibilité allait me faire repérer, ce qui s’est effectivement réalisé quelques mois plus tard, en octobre 2016. Mes officiers m’ont aussi appris qu’ils mettaient ma fille Laura sous protection. Et les autres salariés ? Rien. Un de mes salariés a reçu une douille de balle de pistolet dans sa boîte aux lettres, donc à son domicile personnel. Toujours rien. J’ai donc compris qu’on surprotégeait « les Bouzar » (parce que cela aurait été repris par les médias ?) mais que les autorités ne prévoyaient rien pour les autres salariés, pourtant autant en danger, jour et nuit. A la fin, même les plus motivés ont fini par craquer. En avril 2016, les deux plus anciens bénévoles ont également quitté la structure.
A chaque départ, nous avons mis en œuvre des ruptures conventionnelles. Nous avons aussi été amenées à effectuer un licenciement pour faute lourde avec mise à pied à titre conservatoire.
Conclusion à L’Etat doit mettre en place une institutionnalisation des équipes qui travaillent sur ce sujet. L’Etat ne peut pas faire reposer des missions publiques de sécurité sur de simples associations qui « bricolent » avec les moyens du bord et des prises de risque personnelles.
- une association de terrain ne peut devenir « la vitrine » de l’action d’un gouvernement
- le début de la mission ministérielle d’avril 2015, les médias ont multiplié leurs appels. Plusieurs problèmes se sont posés. Le service de communication du Ministère de l’intérieur m’appelait fréquemment pour me convaincre de répondre au plus grand nombre de journalistes possible. La responsable m’expliquait que la médiatisation des indicateurs d’alerte faisait partie de la prévention, car le grand public devait devenir plus vigilant et qu’il s’agissait donc d’une partie de mes obligations. Je ne pouvais répondre aux dizaines de journalistes qui m’appelaient chaque jour et certains le prenaient mal. En effet, notre rythme était trop intense. Nous avions le sentiment d’être face à une épidémie : toutes les nuits, de nouveaux parents appelaient dès qu’ils s’apercevaient que leur enfant s’apprêtait à fuguer pour rejoindre Daesh. Il fallait avertir le secrétaire général du CIPD, coordinateur du plan anti-radicalité, qui avertissait à son tour les autorités de police pour espérer récupérer l’adolescent avant qu’il n’ait passé la frontière.
Des dizaines de jeunes ont été stoppés. Rappelons que ces jeunes que nous avons suivis avaient tous des parents qui avaient suffisamment confiance en l’état pour signaler leur propre enfant au Numéro vert en sachant qu’il était tenu par la police...
Rapidement, les journalistes ont demandé à « voir » les jeunes et leurs familles, car le CPDSI était devenu « la vitrine » de l’action gouvernementale en matière de prévention de radicalisme. Vous-même avez régulièrement émis des tweets en disant que vous vouliez des noms. Même si nous comprenions le fond, l’éthique nous empêchait de participer à ce qui était devenu une « télé-réalité du djihadisme », qu’elle soit relayée par les journaux d’informations en continu ou les réseaux sociaux.
Mais dans le contexte d’une telle dangerosité, nous ne pouvions pas exposer la vie et l’avenir des familles ayant fait confiance au CPDSI. Nous devions protéger leur anonymat et la confidentialité de leur situation. Nous avons malgré tout, lorsque l’on pensait que c’était une étape de travail nécessaire pour certains jeunes, mis en place de certains témoignages avec le plus de précautions possibles (reportage Allodocteurs, Télématin). ; ... Notamment la jeune fille que nous avons nommée « Léa ». Elle en avait besoin car elle culpabilisait d’avoir embrigadé à son tour « des plus petits qu’elle »....
Vous et de nombreux journalistes ne voyiez pas que changer le nom et la voix du jeune ne garantit pas son anonymat. Daesh reconnaît ses recrues à leur histoire : celui qui a refusé de se marier, celui qui a refusé de combattre, celui qui a voulu travailler à l’hôpital, etc.
A partir de là, de fausses informations ont commencé à rebondir sur les réseaux sociaux et ont été reprises par les médias sur le net. Nous étions en porte à faux : le gouvernement attendait de nous que l’on prouve qu’il n’était pas en retard sur le sujet mais en tant qu’équipe de terrain qui manipulait des données confidentielles, nous ne pouvions livrer en pâture ces familles.
D’ailleurs, plus les jeunes me reconnaissaient facilement, plus il était difficile de les suivre efficacement, dans la mesure où leur particularité est d’être convaincu de l’existence d’une théorie du complot. En me voyant à la télévision, ils me percevaient comme le « diable qui travaille pour le Mossad... »
On ne peut sortir un jeune de la radicalisation qu’à son insu. S’il s’aperçoit que l’on a compris qu’il était radicalisé, il se met en posture de dissimulation. De plus, lorsque nous communiquions sur les indicateurs d’alerte, les recruteurs se servaient de notre communication pour s’adapter.
Je donne deux exemples de désinformations qui continuent à être reprises.
Alors que nous venions d’alerter en juillet 2015 les autorités judiciaires sur le fait que « Léa »[5] « s’était rebranchée » avec les recruteurs, Europe 1 lançait en mars 2016 la fausse information que cette dernière avait « grugé le CPDSI ». Cette désinformation a été reprise et amplifiée par à peu près tous les médias ! J’avais pourtant la preuve de mes échanges par mail dès juillet 2015 avec la juge anti-terroriste, à qui mon équipe avait demandé officiellement l’enfermement en Centre Educatif Fermé car « Léa » était trop en manque de son groupe pour s’en sortir sans contention éducative. Cette dernière avait refusé et le procureur, plusieurs mois plus tard, en janvier 2016, avait fini par incarcérer la jeune fille. Bien entendu, quelques journalistes pressés mais néanmoins honnêtes, ont pris soin de rectifier leur premier article infondé et non documenté. Nos droits de réponse ou rectifications n’ont eu que peu d’écho[6]...
Précisons que nous avons souvent demandé l’enfermement de nos jeunes : la contention est souvent un passage obligé pour couper le jeune du groupe radical (désembrigadement relationnel).
- exemple : Rue 89 produit un article en titrant que j’étais « une arrangeuse de vérité ». Pour argumenter ce titre digne de la presse à scandale, le journaliste affirmait qu’un parent avait témoigné que je ne m’étais jamais occupée de sa fille. S’il avait respecté son éthique professionnelle, et donc réellement investigué, toutes les familles du CPDSI auraient pu lui dire que ce papa, haut fonctionnaire souhaitant un anonymat absolu compte tenu de ses fonctions était le premier à avoir sollicité mon aide. Il aurait aussi pu rapidement consulter l’ensemble des échanges SMS archivés dans mon téléphone portable avec ce papa et sa fille, les photos, les encouragements, et même le récit de l’accouchement de sa fille qui était sans cesse en lien avec moi.
Ce journaliste aurait pu lire la longue lettre de remerciement que ce papa avait écrite lorsque sa fille allait mieux. A la sortie de cet article qui a lancé les premières rumeurs à mon égard, face aux accusations, nous avons fait le choix de ne pas rompre l’engagement d’anonymat de cette famille pour simplement nous défendre face à des accusations mensongères. Que certaines familles aient besoin d’exprimer de la colère lorsque leur enfant a été embrigadé, qu’il est parti sur zone, ou qu’il veuille rester musulman, peut être compréhensible. Comment un parent pourrait-il accepter de perdre son enfant ? Leur colère est un droit que nous avons appris à respecter et à comprendre. Nous avons choisi de ne jamais, jamais, bafouer nos engagements moraux vis-à-vis d’eux, qu’importent leurs attaques injustes. Mais je tiens toutes ces preuves à votre disposition.
Conclusion à Les associations de terrain ne peuvent devenir les vitrines et les preuves des actions gouvernementales. Il faut séparer la communication, la vulgarisation des indicateurs, et l’action sur le terrain, qui doit rester discrète et confidentielle. A défaut, les actions pourraient s’auto-annuler...
- Le gouvernement s’est désengagé de la mission publique qu’il a mandatée en refusant de vous répondre... Pourtant, la cohérence entre tous les acteurs institutionnels est la condition minimale de tout programme de lutte contre le djihadisme.
Alors qu’un comité de pilotage interministériel[7] contrôlait nos différents suivis chaque mois, vous avez commencé à nous accuser de détourner des fonds publics sans aucun résultat...[8] Nous attendions que notre comité de pilotage interministériel réponde à vos questions : nous avions une obligation de confidentialité mais nous rendions chaque mois des tableaux précis (Compte rendu de réunion du COPIL du 15 juillet 2015 ; Compte rendu de réunion du COPIL du 27 novembre 2015 ), indiquant quand et comment nous avions suivi chaque famille, leur identité et adresse, ainsi que l’état de l’avancée de son suivi et celui de la liaison avec l’équipe de professionnels de la préfecture du département qui devait prendre le relais. Nous faisions des rapports sur chaque jeune suivi, tous les trimestres, envoyés aux préfets. Nous étions supervisés par le psychiatre Serge Hefez qui nous aidait pour les cas difficiles (un livre retrace l’expérience et la réflexion commune des 2 équipes : « J’ai rêvé d’un autre monde, » Edition Stock, sortie le 22 février 2017).
[1] Centre Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation
[2] Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam
[3] Les comptes annuels du CPDSI sont clôturés au 31 décembre 2016. A la date de cette lettre ouverte, le travail comptable du cabinet et du commissaire aux comptes démarre. Nous continuons le bénévolat avec les parents qui en ont besoin autour de la structure NOORONLINE.FR mais inutile de garder une structure associative pour cela.
[4] Je tiens d’ailleurs à préciser que la mission de la sénatrice Esther Benbassa dont les conclusions seront bientôt rendues publiques, ne m’a pas auditionnée non plus...
[5] Cette jeune fille mineure appelée « Léa » lors de certains témoignages de sa part dans les médias était suivie par le CPDSI depuis septembre 2014 alors qu’elle avait projeté de commettre un attentat sur le sol français car elle n’arrivait pas à rejoindre Daesh sur zone.
[7] Ministères de l’Intérieur, de l’Education Nationale, de la Santé, de la ville, de la justice avec également services du SG CIPD et de l’UCLAT.
[8] Tous les bilans comptables, les rapports d’activité annuels et les rapports de certifications de Commissaire aux Comptes ont été publiés, dès que disponibles, sur le site du CPDSI www.cpdsi.fr
D’ailleurs, plus les jeunes me reconnaissaient facilement, plus il était difficile de les suivre efficacement, dans la mesure où leur particularité est d’être convaincu de l’existence d’une théorie du complot. En me voyant à la télévision, ils me percevaient comme le « diable qui travaille pour le Mossad... »
On ne peut sortir un jeune de la radicalisation qu’à son insu. S’il s’aperçoit que l’on a compris qu’il était radicalisé, il se met en posture de dissimulation. De plus, lorsque nous communiquions sur les indicateurs d’alerte, les recruteurs se servaient de notre communication pour s’adapter.
Je donne deux exemples de désinformations qui continuent à être reprises.
Alors que nous venions d’alerter en juillet 2015 les autorités judiciaires sur le fait que « Léa »[1] « s’était rebranchée » avec les recruteurs, Europe 1 lançait en mars 2016 la fausse information que cette dernière avait « grugé le CPDSI ». Cette désinformation a été reprise et amplifiée par à peu près tous les médias ! J’avais pourtant la preuve de mes échanges par mail dès juillet 2015 avec la juge anti-terroriste, à qui mon équipe avait demandé officiellement l’enfermement en Centre Educatif Fermé car « Léa » était trop en manque de son groupe pour s’en sortir sans contention éducative. Cette dernière avait refusé et le procureur, plusieurs mois plus tard, en janvier 2016, avait fini par incarcérer la jeune fille. Bien entendu, quelques journalistes pressés mais néanmoins honnêtes, ont pris soin de rectifier leur premier article infondé et non documenté. Nos droits de réponse ou rectifications n’ont eu que peu d’écho[2]...
Précisons que nous avons souvent demandé l’enfermement de nos jeunes : la contention est souvent un passage obligé pour couper le jeune du groupe radical (désembrigadement relationnel).
- exemple : Rue 89 produit un article en titrant que j’étais « une arrangeuse de vérité ». Pour argumenter ce titre digne de la presse à scandale, le journaliste affirmait qu’un parent avait témoigné que je ne m’étais jamais occupée de sa fille. S’il avait respecté son éthique professionnelle, et donc réellement investigué, toutes les familles du CPDSI auraient pu lui dire que ce papa, haut fonctionnaire souhaitant un anonymat absolu compte tenu de ses fonctions était le premier à avoir sollicité mon aide. Il aurait aussi pu rapidement consulter l’ensemble des échanges SMS archivés dans mon téléphone portable avec ce papa et sa fille, les photos, les encouragements, et même le récit de l’accouchement de sa fille qui était sans cesse en lien avec moi.
Ce journaliste aurait pu lire la longue lettre de remerciement que ce papa avait écrite lorsque sa fille allait mieux. A la sortie de cet article qui a lancé les premières rumeurs à mon égard, face aux accusations, nous avons fait le choix de ne pas rompre l’engagement d’anonymat de cette famille pour simplement nous défendre face à des accusations mensongères. Que certaines familles aient besoin d’exprimer de la colère lorsque leur enfant a été embrigadé, qu’il est parti sur zone, ou qu’il veuille rester musulman, peut être compréhensible. Comment un parent pourrait-il accepter de perdre son enfant ? Leur colère est un droit que nous avons appris à respecter et à comprendre. Nous avons choisi de ne jamais, jamais, bafouer nos engagements moraux vis-à-vis d’eux, qu’importent leurs attaques injustes. Mais je tiens toutes ces preuves à votre disposition.
Conclusion à Les associations de terrain ne peuvent devenir les vitrines et les preuves des actions gouvernementales. Il faut séparer la communication, la vulgarisation des indicateurs, et l’action sur le terrain, qui doit rester discrète et confidentielle. A défaut, les actions pourraient s’auto-annuler...
- Le gouvernement s’est désengagé de la mission publique qu’il a mandatée en refusant de vous répondre... Pourtant, la cohérence entre tous les acteurs institutionnels est la condition minimale de tout programme de lutte contre le djihadisme.
Alors qu’un comité de pilotage interministériel[3] contrôlait nos différents suivis chaque mois, vous avez commencé à nous accuser de détourner des fonds publics sans aucun résultat...[4] Nous attendions que notre comité de pilotage interministériel réponde à vos questions : nous avions une obligation de confidentialité mais nous rendions chaque mois des tableaux précis (Compte rendu de réunion du COPIL du 15 juillet 2015 ; Compte rendu de réunion du COPIL du 27 novembre 2015 ), indiquant quand et comment nous avions suivi chaque famille, leur identité et adresse, ainsi que l’état de l’avancée de son suivi et celui de la liaison avec l’équipe de professionnels de la préfecture du département qui devait prendre le relais. Nous faisions des rapports sur chaque jeune suivi, tous les trimestres, envoyés aux préfets. Nous étions supervisés par le psychiatre Serge Hefez qui nous aidait pour les cas difficiles (un livre retrace l’expérience et la réflexion commune des 2 équipes : « J’ai rêvé d’un autre monde, » Edition Stock, sortie le 22 février 2017).
Vous l’avez compris, le suivi et les justificatifs que nous avons sans cesse fournis à tout un ensemble de personnes assermentées et/ou autorisées a recouvert les champs comptables (certification du commissaire aux comptes 2014, rapport financier 2014, certification du commissaire aux comptes 2015, rapport financier 2015), administratifs, quantitatifs et qualitatifs. Les situations traitées ont été reportées selon plusieurs typologies :
- pas de suivi nécessaire car absence de radicalisation
- suivi en cours, en lien avec parents et/ou professionnels
- démarrage travail en déradicalisation
- suivi pendant cette phase
- réussite et fin du travail en déradicalisation
- stagnation
- risques de dissimulation
- rechute.
Rappelons que tous nos jeunes avaient été signalés au Numéro vert par leurs parents, demandeurs d’un suivi. Ils n’étaient donc pas représentatifs de tous ceux qui sont touchés par cette idéologie. Il a existé de grandes réussites, avec des jeunes ou adultes qui n’ont jusqu’à ce jour pas connu de rechutes et dont la vie a repris son cours. Nous avons aussi rencontré des cas difficiles, notamment dus à l’absence d’espoir d’une vie future et à l’attachement du groupe fusionnel de substitution mis en place par les rabatteurs. Une « déradicalisation » n’est pas une « déprogrammation » : il faut amener des nouvelles informations au radicalisé pour qu’il réalise par lui-même le décalage entre l’utopie qu’il poursuivait et la réalité de Daesh, afin qu’il se désengage d’abord de son groupe radical, puis de l’idéologie djihadiste elle-même. Cela prend au minimum un an et peut durer plusieurs années. De plus, une fois que la personne a fait le deuil du groupe djihadiste puis de l’idéologie djihadiste, sa stabilisation dépend des autres acteurs institutionnels : les psychologues, les éducateurs, les missions locales, les universités, les entreprises d’insertion, etc. Certains jeunes sont repartis parce qu’ils savaient qu’ils n’avaient plus aucun avenir, une fois leur nom communiqué à la presse, souvent par les autorités turques. Avec internet, ils ne peuvent même plus recommencer leur vie dans un autre pays. Les réussites et les échecs font partie d’une responsabilité sociétale commune, ils ne dépendent pas d’une seule personne ou d’une recette miraculeuse.
Non seulement nous avons atteint le chiffre requis par l’appel d’offre (nous étions mandatés pour 150 jeunes), non seulement nous avons formé 43 équipes de préfectures (rapport annuel d’activité 2015), mais nous avons aussi lancé une recherche-action avec les parents pour trouver une méthode expérimentale de sortie de radicalité et réfléchir à des indicateurs de sortie de radicalité. Stoppés physiquement, les jeunes ne rêvaient que d’une chose : tenter un nouveau départ pour rejoindre Daesh ou se retourner contre la France. Il fallait donc passer à l’étape suivante et les aider à sortir de cette idéologie qui allait les mener à une double mort : la leur et celle des autres. Trouver comment les désengager du djihadisme s’avérait d’autant plus important que leur haine contre la société augmentait d’autant plus qu’ils se sentaient coincés sur ce qu’ils considéraient comme « une terre mécréante ».
Je peux vous assurer que 595 300€ TTC a constitué un budget serré pour arriver à payer salaires et charges, frais de transport des centaines de familles, locations des salles, déplacements des membres de l’équipe dans toutes les villes, y compris dans les DOM TOM... Je peux aussi vous assurer qu’il est possible de mener un jeune à se désengager d’un groupe djihadiste et de l’idéologie djihadiste (Témoignage d'un père et de sa fille, anciennement embrigadée , Témoignage d'une mère dont la fille est sortie de l'embrigadement, Témoignage d'une ancienne embrigadée ).
Lorsque nous avons cessé notre action, 809 parents nous avaient saisis. Lorsque nous sommes partis, nos rapports de fin de mesure ont préconisé l’orientation de quelques dizaines de jeunes vers les trois nouvelles structures qui nous ont remplacés.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il a fallu trois équipes au lieu du CPDSI pour prendre le relai. Cela montre bien la quantité de travail que nous avons abattu.
Aujourd’hui, vous nous accusez « au mieux d’être incompétents, au pire d’être dangereux » alors que nous avons été dépositaires d’une mission publique par un gouvernement qui ne vous répond pas.
Nous accusons donc intuitu personae vos attaques. C’est Dounia Bouzar que vous voulez délégitimer, alors que vos attaques interrogent en réalité le dysfonctionnement du dispositif du gouvernement. Preuve flagrante de ce dysfonctionnement : le gouvernement, après s’être déchargé de ses responsabilités sur le CPDSI, après m’avoir demandé de quitter mon entreprise, après nous avoir mis en danger personnellement vis à vis des groupes djihadistes, se désengage d’une action qu’il a commanditée et financée, ne répond pas à vos demandes, au moment où des attentats ont terrifié un pays qui n’a plus envie de déradicaliser qui que ce soit mais de se venger. Le gouvernement se retire au moment où pour être élu, la vengeance est davantage à l’ordre du jour que la prévention, la « déradicalisation » ou la réinsertion.
Conclusion à Si des acteurs doivent être mandatés pour lutter contre le djihadisme, ils doivent être reconnus a minima d’intérêt public, être contrôlés, portés, et institutionnalisés. La lutte contre le djihadisme ne peut qu’être institutionnalisée, au cœur de la République, selon un angle politiquement décidé et suivi par tous. Le gouvernement ne peut réitérer un engagement « à géométrie variable », selon l’actualité politique du moment, pour un sujet de sécurité nationale. Les « méthodes de déradicalisation » ne peuvent à elles seules déradicaliser. L’ensemble des acteurs doit être cohérent, y compris pour la réinsertion des anciens djihadistes. Un déradicalisé qui ne trouve pas de travail ou ne peut reprendre ses études parce qu’il est « fiché terroriste » retombera plus facilement dans le rejet de la société.
- Les politiques de gauche et de droite tiennent une posture paradoxale sur la « déradicalisation »
Un gouvernement ne peut pas à la fois donner des centaines de milliers d’euros à quantité d’acteurs pour « déradicaliser », et en même temps, considérer qu’un ancien djihadiste ayant fait 4 ans de prison, contre qui la police n’a pas le moindre nouvel élément, ne peut être repenti.
Vous qui plaidez la déradicalisation selon le modèle de l’Arabie Saoudite, vous êtes dans le même paradoxe en estimant que le fait que Farid Benyettou déclare qu’il est Charlie est obscène. Auriez-vous été rassurée s’il avait déclaré qu’il n’était pas Charlie ? Est-ce cela qui aurait été respectueux pour la mémoire des victimes ? Ce sont des journalistes qui avaient remis le badge « Je suis Charlie » à Farid Benyettou il y a deux ans, pour voir s’il était sincère. Comme il l’écrit dans Mon Djihad, il l’a toujours gardé dans sa poche depuis, et le montrait régulièrement aux jeunes en voie de déradicalisation, en leur expliquant qu’on peut à la fois être contre les caricatures et contre les assassinats de ceux qui font des caricatures... Il ne s’attendait pas du tout à ce que ce geste blesse des personnes.
Il a accepté de publier sa rétro-analyse effectuée avec moi pour lutter contre le djihadisme parce que, comme il l’explique dans son communiqué de presse, il estime avoir « une dette morale » envers la France.
Nous voulions redonner de l’espoir aux Français au moment de cette commémoration des attentats : la chaîne de la vie peut gagner sur la chaîne de la mort.
Que des victimes de terrorisme soient dans l’affectif et ne puissent pas l’entendre, qu’ils aient besoin de s’en prendre à l’un des seuls anciens chefs de filière vivant, c’est tout à fait compréhensible. Mais que des élus de gauche et de droite flattent ces sentiments exacerbés et s’en servent pour regagner du pouvoir politique est pour moi beaucoup plus obscène que de publier un livre qui partage « les secrets du djihadisme » pour mieux le combattre.
Heureusement, trois des plus grands experts dans ce domaine ne participent pas à cette exaltation de groupe : le juge Trévidic[5], l’ancien haut fonctionnaire de la défense Pierre Conesa[6] et le sociologue spécialiste de la radicalisation en prison Fahrad Khosrokavar[7], ont soutenu ma posture sur les repentis. De nombreux autres connaisseurs, chercheurs ou journalistes le savent aussi.
J’assume ma position : pour amener un radicalisé à se désengager de l’idéologie djihadiste, il faut deux étapes :
- une approche émotionnelle rassurante par les proches pour que le radicalisé se réaffilie et se réincarne ;
- une approche cognitive par les repentis pour que le radicalisé prenne conscience du décalage entre l’utopie qui lui a été proposée et la réalité de l’idéologie des djihadistes (projet d’extermination et de purification)
Conclusion à Le problème du statut et de la place des repentis est un impensé de la société française alors que dans les 15 prochaines années, sa non-gestion va lui poser un vrai problème. C’est ça, Madame la Sénatrice, être incompétent, voire dangereux.
Je me tiens à disposition pour tout échange qui peut vous paraître utile.
Bien cordialement,
Dounia Bouzar
[1] Cette jeune fille mineure appelée « Léa » lors de certains témoignages de sa part dans les médias était suivie par le CPDSI depuis septembre 2014 alors qu’elle avait projeté de commettre un attentat sur le sol français car elle n’arrivait pas à rejoindre Daesh sur zone.
[3] Ministères de l’Intérieur, de l’Education Nationale, de la Santé, de la ville, de la justice avec également services du SG CIPD et de l’UCLAT.
[4] Tous les bilans comptables, les rapports d’activité annuels et les rapports de certifications de Commissaire aux Comptes ont été publiés, dès que disponibles, sur le site du CPDSI www.cpdsi.fr
[5] « C’est une bonne idée, et ce n’est pas Dounia Bouzar qui l’a eue en premier. Les Anglais ont utilisé des gens qui avaient ce profil. Ils ont une voix qui porte auprès des jeunes. Quand on a effectué ce parcours, quand on s’est fait avoir, on voit mieux le danger. (...) Est-ce que Benyettou est fiable ? Je pense que Dounia Bouzar est capable de l’estimer, elle a une vraie habitude de ces gens... » (Marianne, N°1033.)
[6] « Bouzar-Benyettou, duo sulfureux et dérangeant ? Pierre Conesa, maître de conférences à Sciences Po et spécialiste du djihadisme, et qui a croisé le jeune émir charismatique quand il a « commencé à s’éloigner de l’idéologie djihadiste », n’est pas de cet avis. Il loue « l’attitude honnête avec Benyettou » de celle qu’il décrit comme « la papesse de la déradicalisation ». Pierre Conesa défend également l’attitude du « repenti » : « Je le crois sincère, il prend des risques, y compris vis-à-vis de ses anciens confrères. Et on le considère comme le mentor des Kouachi alors que rien ne dit qu’il était au courant de leur projet ». C’est la question de la réinsertion des anciens terroristes qui se pose aussi. Les djihadistes sont-ils condamnés ad vitam aeternam à la prison ? Benyettou n’a pas pu continuer à exercer comme infirmier. « Pourtant », argumente l’ancien haut fonctionnaire à la Défense, « il n’a pas de crime de sang sur les mains, il a accompli sa peine pour la filière, s’est amendé. Lui donne-t-on une deuxième chance, ou pas ? » Farid Benyettou, que tout le monde s’accorde à décrire comme quelqu’un d’intelligent, aurait-il pu tromper son monde, pratiquer la « taqiya » (N.D.L.R. : l’art de la dissimulation djihadiste) ? « Si c’était le cas, il aurait ouvert un petit commerce plutôt que s’exposer dans les médias », pense Pierre Conesa. » (Déradicalisation : le mystère Benyettou ; l’Est Républicain du 11 janvier 2017).
[7] Emission « Terroriste un jour, terroriste toujours ? » France culture https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre/terroriste-un-jour-terroriste-toujours