Stéphanie* s’en souviendra toute sa vie. L’avion qui la ramène de Turquie avec son petit garçon vient de se poser à Roissy (Seine-Saint-Denis). En guise de comité d’accueil, sa mère, des agents de la DGSI et des éducateurs de la protection de l’enfance."J’avais dit à mon fils qu’il allait partir chez sa mamie, mais le juge a changé d’avis", raconte la jeune femme, qui s’est convertie à l’islam par amour et a suivi son mari en Syrie il y a trois ans. Mehdi*, trois ans et demi, comprend qu’il va être séparé de sa mère, éclate en sanglots et s’accroche de toutes ses forces à sa djellaba noire. La phrase de l’assistante sociale résonne encore en elle aujourd’hui : "On ne va pas y passer la nuit, il faut faire au plus vite."
Ces scènes douloureuses se sont multipliées ces derniers mois sur le tarmac de l’aéroport francilien, où atterrissent la plupart des "petits revenants" de zone irako-syrienne. Un éducateur de Seine-Saint-Denis se souvient de cette mère, revenue dans le courant de l’année 2016 avec deux enfants en bas âge.
La femme a finalement été incarcérée. Son petit dernier, encore allaité, a dû être sevré en urgence.
Sur les 450 mineurs, environ, qui se trouveraient là-bas, une soixantaine sont rentrés pour l’instant, parfois seuls. Un nombre relativement faible car le gouvernement français applique une politique du "cas par cas" en matière de rapatriement et les violents combats font craindre un nombre élevé de victimes parmi eux. Chez ceux qui ont pris le chemin du retour, les adolescents poursuivis par la justice sont rares. En décembre 2017, ils étaient huit. Les autres ne sont pas considérés comme des enfants soldats mais comme des mineurs en danger, qui nécessitent une protection, judiciaire et administrative. La majorité est très jeune puisque beaucoup ont poussé leur premier cri sur place, à Raqqa, Mossoul ou d’autres villes de la région. Sur les 44 enfants accueillis en Seine-Saint-Denis, 33 ne sont pas nés en France.
Quand ces retours sont organisés par les autorités françaises, la séparation de la mère est immédiate, au moins le temps de la garde à vue dans les locaux des services de renseignement. L’interrogatoire peut être prolongé jusqu’à six jours. Celui de Stéphanie a duré 96 heures. La jeune femme est ressortie sans être poursuivie par le parquet antiterroriste. Un cas de figure exceptionnel, la mise en examen des revenantes pour "association de malfaiteurs terroristes" étant devenue systématique dans le courant de l’année 2016. Le regard sur les "returnees au féminin" a changé. En cause, les photos de certaines, posant avec une kalachnikov sur les réseaux sociaux. Et l’appel au jihad armé de l’Etat islamique adressé y compris aux femmes et aux enfants à la fin de l’été 2017.
"On le sait, des femmes ont porté des armes pour Daech, ce n’était pas que des ventres, c’était aussi des cerveaux", confirme Hélène Franco, ancienne juge des enfants à Bobigny. Le passage par la case détention provisoire s’est lui aussi systématisé. Sur les 32 femmes revenues de Syrie ou d’Irak et mises en examen, 11 ont été placées sous contrôle judiciaire, 15 en détention provisoire et six ont déjà été condamnées.
Laurence* est restée en prison un mois et demi, après avoir suivi des connaissances en Syrie. Cette femme de 34 ans, y a passé quelques semaines, avec son fils de 4 ans, en 2015. Poursuivie pour soustraction de mineur – et non pour association de malfaiteur terroriste –, elle n’a pas vu son enfant, confié à son mari, pendant cette période. "J’avais besoin de ce temps-là pour digérer, j’avais perdu 10 kilos, j’avais la rage, envie de me venger. Je me disais 'comment j’ai pu tomber là-dedans'", témoigne-t-elle aujourd’hui. Les retrouvailles ont eu lieu à sa sortie. Si certaines mères ont eu la chance de pouvoir compter sur un proche pour s’occuper de leur(s) enfant(s) au retour du Syrie, le parquet local préconise désormais un placement provisoire automatique. Bien souvent, ce placement en foyer ou en famille d’accueil est prolongé par le juge des enfants. La question est vite réglée quand les parents sont en détention. Elle est plus délicate quand ils sont sous contrôle judiciaire ou quand des grands-parents, oncles et tantes se manifestent pour obtenir la garde.
Dans ce cas, une mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE), confiée exceptionnellement à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), est ordonnée pour évaluer l’état de l’enfant et son cercle familial. Parmi les questions qui se posent : est-il toujours exposé à un risque de radicalisation ? Problème, cette MJIE, qui dure six mois, est longue à se mettre en place, faute de personnel disponible. "En Seine-Saint-Denis, il faut deux, trois ou quatre mois avant que la MJIE commence", souligne Hélène Franco.
Des visites avec un médiateur peuvent toutefois se mettre en place dans le cadre de cet intervalle. L’avocat Martin Pradel cite le cas de cette cliente rentrée en novembre 2017, dans le sud de la France, et placée sous contrôle judiciaire. Pendant trois semaines, elle n’a pas vu son enfant, placé et examiné par des pédopsychiatres et des éducateurs. Des visites ont ensuite été organisées.