Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Adresse : ATF, 5 rue Louis Blanc, 75010 Paris 

Tél. : 01.45.96.04.06, 

Fax. : 01.45.96.03.97,

Recherche

Liens

22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 14:23
   
    (BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

DES TROUBLES PSYCHIQUES DIFFICILES À ÉVALUER

Les premières semaines ont été très difficiles pour Salim* et Nora*, âgés respectivement de 3 ans et 10 mois. Séparés de leur maman fin 2016, ils ont été placés en famille d’accueil du département. "Salim hurlait, jouait avec ses excréments et en mettait partout sur les murs. Il avait peur des bruits d’aspirateurs et d’avions", rapporte un travailleur social du département en charge de son suivi.

La plus petite était aussi très agitée et ne dormait pas la nuit. Elle pleurait dès que la famille d’accueil quittait la pièce.

Un travailleur social de Seine-Saint-Denis

Les éducateurs ont dû trouver eux-mêmes une consultation dans un service psychiatrique d’un hôpital de Seine-Saint-Denis, quelques mois plus tard. Aujourd’hui, la prise en charge médicale et psychologique est immédiate pour les enfants de retour de Syrie et d’Irak.

Dès leur arrivée à l’aéroport, un médecin peut les examiner en cas d’urgence. Ils sont ensuite hospitalisés pendant une journée pour effectuer un bilan : pesée, vaccination, détection d’éventuels parasites… Un contact est pris avec un psychiatre de l’un des trois établissements référents en Ile-de-France.

Commencent alors des consultations, sur une période de deux à trois mois, à domicile ou à l’hôpital. "L’objectif est d’essayer de comprendre quels sont les impacts du vécu de l’enfant sur son développement et comment on peut l’aider", explique Thierry Baubet, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, qui a contribué à la mise en place de ce protocole d’évaluation et de soins.

Les troubles de l’enfant varient beaucoup selon l’âge, la période à laquelle il a vécu dans ces pays et le comportement de ses parents. "Ceux qui sont rentrés récemment ont vécu des événements très violents, avec des bombardements intenses, des pères morts brutalement, une incarcération sur zone ou en Turquie dans des camps…", relève le psychiatre.

Le deuil d’un parent est ce qui peut arriver de plus dur à un jeune enfant.

Thierry Baubet, psychiatre

En décembre 2017, un garçon de 11 ans a été rapatrié seul à Roissy, toute sa famille ayant été tuée dans des bombardements. Placé en foyer, "il a craqué tout de suite et a menacé d’égorger une éducatrice", reconnaît un membre de la protection de l’enfance de Seine-Saint-Denis. Un incident isolé, selon le département, la majorité des enfants ayant moins de 5 ans."Dans la plupart des cas, les parents ont essayé de les protéger", confirme Thierry Baubet.

C’est le cas de Laurence, qui a tenté de "préserver" son fils de ce qu’il pouvait voir sur place, à commencer par le port quotidien du niqab. "Ça l’a frappé. J’ai tourné ça en dérision, en disant 'maman est comme batman', vu qu’il était dans sa phase Marvel." Mère et fils restent la plupart du temps cloîtrés dans un appartement à Raqqa. "J’avais quelques livres, comptines, dessins animés que je lui montrais en cachette. On dessinait, on s’occupait des oiseaux en cage sur notre balcon."

"Les clientes que j’ai eu l’occasion de défendre ont tout fait pour protéger leurs enfants de la guerre", observe l’avocat Jérémie Boccara. "Elles les éduquent à la française, leur font regarder Dora l’exploratrice et Peppa Pig et pas des images de décapitation. Même si des bombardements résonnent au loin, les enfants ne sont ni traumatisés ni embrigadés à leur retour", assure-t-il, dénonçant les fantasmes autour de leur état psychique.

Les situations sont toutefois très variables. Parfois, les bombardements sont tout près. "J’ai entendu au moins huit explosions d’affilée. J’ai ouvert les yeux et j’ai hurlé", se souvient Stéphanie. Un tapis de bombes vient de s’abattre sur un bâtiment voisin. "Mon fils criait 'vite, vite, vite'. Nous avons descendu les étages en courant pour nous réfugier au rez-de-chaussée."En 2015, déjà, les raids aériens sont nombreux. Fadila*, qui a passé moins d’un an en Syrie avec sa fille de 5 ans cette année-là, évoque jusqu’à "38 frappes par jour".

Aujourd’hui, les sirènes du mercredi angoissent la petite.

Fadila, mère d'Alia

Les conditions de départ occasionnent aussi beaucoup de stress. Salim, Nora et leurs parents ont été arrêtés par des soldats de l'Etat islamique lors d’une première tentative de fuite. "Ils ont été séparés de leur mère plusieurs jours. Ils vivaient tout le temps dans la peur, ils changeaient d’endroit sans arrêt, ils étaient hyper stressés", raconte un des éducateurs qui les suit. Stéphanie, elle, a mis deux mois pour quitter la Syrie, cachée avec son fils chez des familles syriennes. Evasion en voiture, puis en moto, passage par l’Irak, où ils séjournent pendant cinq jours dans une cellule, avant de s'envoler pour Paris… le périple a été éprouvant.

La liste des troubles que ces enfants peuvent présenter donne le vertige :"Troubles post-traumatiques, troubles du sommeil, troubles de l’attachement, problèmes psychomoteurs, dépression, difficultés cognitives, psychisme envahi par des flash back", énumère le professeur Thierry Baubet. Dans sa salle de consultation, peu de dessins et peu de mots.

Ces enfants ont du mal à parler. Ils ont peur de trahir des secrets, de manquer de loyauté envers leurs parents. Raconter la vie là-bas, c’est difficile.

Thierry Baubet, psychiatre

Mehdi, le fils de Stéphanie, ne voulait pas parler de son papa, tué dans un combat contre les Kurdes. "Si on lui posait une question, il disait 'laisse-moi tranquille'", raconte sa mère. Il fait partie des enfants qui n’ont pas bénéficié d’une prise en charge psychologique immédiate. "Les démarches ont été longues. Il a fallu un an pour avoir une place au centre médico-psychologique", témoigne la mère de Stéphanie, qui a entrepris toutes les démarches elle-même. Les séances, à raison d’une fois par semaine, lui ont fait du bien. "Il y a peu de temps, il m’a dit que son père lui manquait, c’était la première fois."

Et au-delà des éventuels traumatismes vécus en Syrie, la rupture des liens provoquée par le retour est une épreuve supplémentaire. "C’est pour ça qu’on étale le bilan sur trois mois, explique le psychiatre. La détresse chez l’enfant liée à la séparation brouille les cartes. Sa symptomatologie change beaucoup si les contacts avec la mère ont repris, même au parloir."

Partager cet article
Repost0

commentaires