Source: Huffington Post, publié le samedi 19 août 2017 à 13h15
Alain Marsaud, ancien chef de la lutte anti-terroriste a quitté le plateau, furieux, devant des journalistes quelque peu blasés: "Si c'est pour me traiter comme ça vous pouvez continuer sans moi", s'est-il agacé.
Attentats en Espagne : Alain Marsaud quitte le plateau de BFM TV en direct
L'expert en lutte antiterroriste a dénoncé vendredi "le refus" de la classe politique et des médias de parler d'attentats islamistes après les attaques en Catalogne.
L'ambiance était tendue vendredi sur le plateau de BFM TV. Invité pour parler des attentats de Barcelone et de Cambrils, Alain Marsaud, ancien chef du service central de lutte antiterroriste au parquet deParis, est parti brusquement après un désaccord avec les journalistes présentateurs, Alexis Cuvillier et Caroline Dieudonné, et un autre invité présent, Anthony Bellanger, chroniqueur surFrance Inter.
En jeu, la manière dont sont nommés les attentats terroristes menés par l'organisation État islamique. Un débat qui n'a cessé depuis que laFrancea été prise pour cible. Ainsi le journalistePhilippe Valregrettait après les attaques qui avaient ensanglanté Paris que « l'ennemi » ne soit pas clairement désigné : « C'est contre la radicalisation de l'islam que nous sommes en guerre, comme enAfrique, comme au Proche-Orient, comme en Asie »,écrivait-il dansLe Point. En 2015,Manuel Valls, alors Premier ministre, avait employé le terme « islamo-fascisme », ce qui avait donné lieu à d'intenses polémiques. Ainsi, le chercheur Jean-Yves Camus expliquait que le terme, trop réducteur, pouvait masquer la particularité de l'intégrisme islamiste comme d'autres totalitarismes irréductibles au fascisme et au nazisme.
Philippe Val - Contre qui nous battons-nous ?
La victoire ne sera possible qu'avec l'adhésion d'une population à laquelle on parle sans détour, sans haine, mais sans équivoque.
La gorge serrée, on assiste au spectacle de la peur et de la douleur. Pour la première fois, on entend ce message des autorités que je redoutais d'entendre de mon vivant, enjoignant aux Parisiens de ne pas sortir de chez eux. Et toujours les mots "terroristes" et "attentats", jusqu'au discours du président Hollande, qui, lui aussi, qualifie les terroristes et les attentats de barbares, mais sans les nommer. Mieux, il dit qu'on sait qui ils sont, d'où ils viennent, mais sans nommer leur cause. Et même après l'inquiétante revendication de Daech, pourtant sans ambiguïté, le non-dit s'épaissit...
Les formules choc de Valls sur le FN continuent à faire des vagues
En disant sa "peur" duFront nationalet en revendiquant une "stigmatisation" deMarine Le Pen,Manuel Vallsa créé de nouveaux remous sur l'ensemble de l'échiquier politique, qui s'émeut aussi de son maintien annoncé à Matignon après les départementales.
Rien de bien nouveau dans la bouche du Premier ministre, adepte confirmé des formules choc tant sur la situation française ("apartheid territorial", "islamo-fascisme"...) qu'au plan électoral. "La gauche peut mourir", s'exclamait-il en juin devant le Conseil national du PS. Le Front National est "aux portes du pouvoir", insistait-il en septembre depuis Bologne (Italie). Avant de dénoncer, la semaine dernière, un "endormissement généralisé" face à Marine Le Pen.
Mais dimanche, Manuel Valls, sans doute pour mobiliser l'électorat de gauche, a de nouveau sorti l'artillerie lourde, évoquant sa "peur" d'uneFrancequi se "fracasse", son "angoisse" face au FN dont il revendique la "stigmatisation", alors que le parti d'extrême droite, arrivé en tête aux européennes en 2014, reste le grand favori des sondages pour les départementales (22-29 mars).
Au passage, le Premier ministre s'imagine "sans aucun doute" à Matignon après ce nouveau scrutin intermédiaire, même en cas de revers sérieux pour le Parti socialiste.
Les déclarations sur le FN témoignent d'une "haine et d'une discrimination à l'égard de millions de Français qui sont les électeurs du Front National", a réagi lundi Marine Le Pen.
M. Valls a aussi suscité le courroux de l'UMP, qui l'a qualifié d'"agent électoral du Front National", selon les termes de l'ex-ministre Valérie Pécresse. Il y a quelques jours, le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, avait évoqué le "FNPS".
"Ce sont les échecs de la majorité qui dopent le Front National", a déclaré Brice Hortefeux, proche de l'ancien chef de l'Etat.
"On fait le jeu du FN en faisant ça", "n'en parlons plus, parlons aux Français de ce qu'on est prêts à faire pour répondre à leurs difficultés", a préconisé de son côté Henri Guaino, député UMP et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
- Onfray s'emporte -
Visé nommément par M. Valls dimanche, le philosophe Michel Onfray l'a traité de "crétin", prisonnier des "fiches" de ses "fameux conseillers en communication", ces "petits gominés trentenaires". Dimanche, Manuel Valls l'avait accusé d'avoir perdu ses "repères" pour avoir dit préférer "une analyse juste" du très droitier philosophe Alain de Benoist "à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL".
"Les reniements de la gauche font Marine Le Pen, créent Marine Le Pen et nourrissent Marine Le Pen", s'est emporté M. Onfray, persuadé de longue date que la gauche a perdu ses repères "en 1983" avec le tournant de la rigueur orchestré par François Mitterrand.
Les réactions sont plus mesurées au sein de la gauche du PS. Benoît Hamon a estimé que le Premier ministre avait "raison de désigner la menace", mais tort de ne pas infléchir sa politique dont il est un des principaux opposants de l'intérieur.
Martine Aubry, la maire de Lille, a affirmé qu'"il ne faut pas avoir peur, il faut combattre, et d'abord s'adresser à la raison des citoyens", tandis que la maire de Paris Anne Hidalgo a approuvé le Premier ministre: "je vais continuer à m'exprimer comme l'a fait Manuel Valls (pour dire que) ce parti-là ne porte pas les valeurs républicaines".
Pour un proche de François Hollande, ces déclarations de Valls constituent "un sacré pari, un pari risqué" avec "un côté tout pour le tout". "Quand vous dites ça, vous pouvez réveiller du monde et pas forcément les vôtres", met en garde ce conseiller, pour qui "diaboliser ou stigmatiser l'électorat FN, c'est dangereux. Cela peut avoir pour effet de le faire encore gonfler" sans pour autant mobiliser la gauche.
"La réalité, c'est qu'on ne sait plus par quel bout prendre le FN", confie-t-il. Selon lui, Hollande "ne tiendra pas ce discours, ce n'est pas son langage", même s'il "ne décourage pas Valls". Le chef de l'Etat est "assez d'accord" avec l'analyse de Bayrou, qui estime que "la peur et l'angoisse ne sont pas les mots que doit employer un Premier ministre", conclut ce conseiller.